Mobilisation L’engagement des jeunes depuis 2020 : entre aspirations individuelles et enjeux collectifs
En bref
- L’engagement des jeunes, souvent perçu comme en déclin depuis la crise sanitaire, suscite de vifs débats.
- Mais est-il vraiment aussi faible qu’on le laisse entendre ?
- Et si, plutôt qu’un désintérêt, on assistait à l’émergence de nouvelles formes d’implication ?
Quelles sont les modalités de l'engagement juvénile ?
Alors que 42 % des 18-30 ans déclarent aspirer à plus de temps libre, comment expliquer leur participation croissante à des projets ou des actions qui s’inscrivent dans la durée (1) ? Dans un monde marqué par des défis sociaux et environnementaux majeurs, il devient crucial de décrypter les motivations et les modalités de l’engagement des jeunes aujourd’hui.
L’engagement des nouvelles générations adopte des formes inusuelles pour leurs aînés, moins traçables que le vote ou l’engagement politique. S’appuyant sur les réseaux sociaux comme espace de relais et de visibilité de leurs revendications et de leurs actions, les jeunes occupent aussi l’espace public pour se faire entendre, via des manifestations, marches ou actions médiatiques dans la rue.
Engagement numérique et slacktivisme
Le numérique fait partie intégrante de la vie des jeunes. Les réseaux sociaux représentent donc des espaces privilégiés d’expression et de mobilisation : en 2024, 41 % des 18-30 ans ont signé une pétition ou ont défendu une cause en ligne (2). Ces prises de position divisent. Pour certains, il s’agit d’une facilité qui n’engage à rien, puisque les jeunes restent passifs derrière leur écran (3). Pour d’autres, comme le politiste Jean-Gabriel Contamin, ces pratiques numériques, nommées « slacktivisme » ou « clicktivisme », reflètent une logique où les individus sélectionnent des actions collectives, car elles leur importent (4). Les hashtags militants tels que #Me-Too, #BlackLivesMatter ou #ClimateStrike sont devenus mondialement viraux, puis ont engendré des manifestations bien concrètes : un espace de visibilité pour les victimes, une prise de conscience collective, une évolution du droit, des actions en justice, etc.
À contrario, les groupes de sensibilisation et d’entraide sur des sujets sociaux, notamment sur les discriminations, mettent à mal l’image d’un monde aseptisé véhiculée par les réseaux sociaux.
Mobilisations spontanées et actions protestataires
La grève scolaire lancée par la suédoise Greta Thunberg puis son mouvement #FridaysForFuture furent à l’origine des Marches pour le climat qui se déroulaient chaque vendredi à travers le monde. Entraînant toute une génération à défiler pour se faire entendre, ces marches constituèrent souvent la première forme d’engagement pour de nombreux jeunes (5). Ces formes de protestations directes, parfois éphémères, mais très visibles – à l’image des occupations de lieux et des actions d’Extinction Rebellion pour attirer l’attention sur l’urgence des crises écologiques (6) –, montrent que les jeunes peuvent s’impliquer concrètement.
Une forme d’engagement contestataire connaît un regain d’intérêt auprès des jeunes : le boycott d’entreprises, de marques ou de produits pour des raisons éthiques ou politiques. Grâce à la viralité des réseaux sociaux, cette pratique peut prendre une ampleur considérable très rapidement. Elle est utilisée comme moyen de pression par 23 % des 18-24 ans.
Apparus en 2019, les collages féministes dénoncent les féminicides et révèlent au grand jour les violences faites aux femmes. Ces actions dans la rue, issues de réunions préparatoires organisées de manière horizontale, permettent aux « colleureuses » (7) de s’approprier l’espace public (8). Les réseaux sociaux amplifient la diffusion de ces collages éphémères et les archivent pour constituer un répertoire partagé (9).
Focus
Engagement et emploi
Mai 2022. Lors de la remise des diplômes, des étudiants d’AgroParisTech refusent d’intégrer les entreprises d’un système nuisible à la planète et décident de « bifurquer » (10) : ne pas exercer le métier auquel ils se préparaient pour en trouver un plus porteur de sens. Ils ne sont pas les seuls. Depuis 2018, le collectif Pour un réveil écologique regroupe 30 000 étudiants et jeunes diplômés issus de 440 établissements.
L’objectif ? Que les établissements et les entreprises, face à l’urgence climatique, intègrent une démarche de transition écologique. C’est « La nouvelle donne de l’engagement des jeunes générations en entreprise » : les futurs salariés issus des grandes écoles se tournent davantage vers les entreprises qui défendent des valeurs en accord avec les enjeux sociétaux et environnementaux (11).
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Les terrains favoris de l'engagement
Si le sport et l’éducation sont traditionnellement des secteurs d’investissement importants pour les jeunes, la cause environnementale, depuis la crise sanitaire, est également l’une de leurs préoccupations majeures. La lutte pour une transition écologique et une justice climatique a même pris une certaine ampleur avec les grèves pour le climat. Des actions coups de poing – asperger des œuvres d’art de sauce tomate, se coller une partie du corps sur la route – démontrent qu’ils vivent l’urgence climatique comme une réelle inquiétude.
Selon l’Ademe, moins d’1 jeune de 15 à 25 ans sur 10 intègre une association de défense de l’environnement, alors que près de 80 % d’entre eux sont plus préoccupés par ces problèmes que leurs proches. Ce paradoxe est dû au fait que les jeunes générations se sentent engagées dès lors qu’elles ont conscience d’un problème ou qu’elles prennent parti : leur engagement ne passe pas forcément par le vote ou le bénévolat, contrairement à leurs aînés (12). Ce qui explique pourquoi 45 % des jeunes de 18 à 24 ans déclarent être engagés pour une cause écologique et la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Certains cependant, à l’image des créateurs de Banlieues climat, s’investissent sur les questions écologiques, notamment dans les quartiers dans lesquels ils souhaitent sensibiliser leurs pairs et les former, en tenant compte de leurs réalités quotidiennes.
La solidarité et l’égalité sont des causes pour lesquelles la jeunesse s’implique beaucoup. Lutte contre les discriminations, pour les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, contre le validisme, soutien aux migrants, opposition à l’extrême droite… Les jeunes générations se sentent touchées par les inégalités, s’informent sur ces sujets et expriment leurs opinions, notamment lors de manifestations.
En 2023, solidaires avec leurs aînés, ils ont manifesté contre la réforme des retraites. À cette occasion, 28 % des 18-30 ans se sont mobilisés. Cela leur a valu d’ailleurs l’incompréhension de ceux qui considéraient qu’ils n’étaient pas directement concernés.
Dans un autre domaine, la lutte contre la précarité étudiante se développe face à sa recrudescence. Ainsi, l’association Cop1-solidarités étudiantes fonctionne entre pairs et propose à chacun de s’engager selon ses disponibilités et compétences.
La santé mentale est également un enjeu qui mobilise les jeunes. Est-ce parce qu’ils sont de plus en plus nombreux à se sentir isolés, soit 6 jeunes sur 10 (13) ? Nightline et le projet Facettes pour la santé mentale des jeunes sont, eux aussi, des exemples de soutien par et pour les jeunes.
Internet favorise la circulation des idées, des combats à mener et des moyens pour le faire, en France et au-delà. En « citoyens cosmopolites »(14), les jeunes se sont donc mobilisés pour diverses causes internationales telles que la Palestine ou le mouvement iranien « Femme, vie, liberté » (ou la remise en cause de l’avortement dans certains pays (Chili, États-Unis ou Pologne).
Beaucoup de jeunes cherchant à concilier plaisir, partage et utilité sociale s’investissent dans des projets d’intérêt général et participent à des chantiers de jeunes bénévoles. En 2024, selon les chiffres provisoires de l’Observatoire du volontariat du réseau Cotravaux, sur les 10 401 bénévoles et volontaires, 29 % étaient mineurs et 41 % avaient entre 18 et 25 ans (15).
Faire partie des 3 000 bénévoles de Solidays, le festival de l’association Solidarité sida, est une autre manière concrète de s’investir tout en créant du lien social. Mais il ne faut pas sous-estimer sa dimension conviviale et festive, car elle est un motif de mobilisation important.
Focus
Quelles actions du réseau Info Jeunes en faveur de l'engagement ?
⦁ La plateforme Jeunes en projets (JEP) d’Info jeunes Bretagne soutient les jeunes Bretons de moins de 30 ans dans la réalisation de leurs projets en leur offrant des outils gratuits pour gérer une équipe, un planning, un budget, les demandes d’aide. Elle répertorie les structures bretonnes qui proposent une aide financière, méthodologique ou logistique.
⦁ De nombreux CRIJ publient un guide sur l’engagement. Ainsi, la publication Jeune et engagé·e d’Info Jeunes Nouvelle-Aquitaine fait le tour des idées reçues sur l’engagement et présente les motivations et les différentes manières de s’engager, ainsi que les leviers pour se faire accompagner dans son projet, le financer et le valoriser. La publication inclut des chapitres sur la formation, le militantisme et une sitothèque.
⦁ Le réseau européen Eurodesk conseille les jeunes sur la mobilité européenne et internationale, notamment sur le volontariat à l’étranger et sur le volontariat du corps européen de solidarité (CES) via des guides, des vidéos et une base de données. La programmation des Jeudis de l’international d’Eurodesk France, service Europe International du CIDJ, propose ateliers et entretiens individuels sur ces formes d’engagement.
⦁ Les rencontres régionales des professionnels du réseau Info Jeunes d’Île-de- France, PROD’IJ, des 2 et 3 octobre 2025, exploreront les formes d’engagement, les motivations et les initiatives des jeunes. À travers des tables rondes, des ateliers et des échanges, les professionnels de l’Information Jeunesse pourront repenser leurs pratiques pour mieux accompagner et valoriser la participation des jeunes.
Associations et dispositifs publics au service d'une jeunesse engagée
Le monde institutionnel s’intéresse depuis longtemps à l’engagement des jeunes qui est devenu un objet d’action publique : SNU, service civique, volontariat en France ou à l’international, Corps européens de solidarité sont autant de dispositifs pour inciter les jeunes à s’impliquer.
Face à l’évolution des préoccupations de la jeunesse, les pouvoirs publics s’adaptent. Ainsi, le statut d’écodélégué a-t-il été généralisé en 2020 dans les collèges et lycées (16). Et le pro gramme Jeunes ambassadeurs des droits de l’enfant (Jade) du Défenseur des droits permet aux 16-25 ans, une fois formés, d’effectuer une mission de service civique pour la sensibilisation des jeunes à leurs droits.
Quant à la plateforme "Je veux aider" qui recense les missions de bénévolat de quelques heures à un engagement plus pérenne, elle semble bien répondre au besoin de flexibilité des jeunes générations avec une hausse de fréquentation de 20 % entre 2020 et 2024.
De nombreuses associations accompagnent l’engagement des jeunes sous des formes variées. C’est le cas de l’Afev qui lutte contre les inégalités en impliquant des jeunes dans des programmes solidaires. Parmi ses trois initiatives, le programme des colocations solidaires Kaps (17) permet à des jeunes de moins de 30 ans de bénéficier d’un logement à loyer modéré dans des quartiers populaires. Chaque colocation est centrée sur une ou plusieurs thématiques, autour desquelles se développent des actions locales de solidarité. Ces actions, menées en équipe et soutenues par du mentorat, favorisent la création de liens sociaux.
Les institutions cherchent également à valoriser les compétences acquises dans le cadre de l’engagement, notamment dans les parcours éducatifs et professionnels. Le compte engagement citoyen (CEC), le Youthpass, le passeport bénévole sont autant d’outils pour valoriser les compétences acquises lors de bénévolat ou d’expériences citoyennes.
Déconstruire le mythe d’une jeunesse désengagée, lever les obstacles
Les jeunes ne restent donc pas indifférents aux problèmes de la société, ils sont même les plus engagés pour leur territoire : 1/3 des 18-24 ans y dynamisent le bénévolat vs 26 % des 25-29 ans (18) et 22 % sont syndiqués (vs 13 % des 25-29 ans). Mais leur investissement est à leur image : numérique, plus individuel, flexible. Et multiple : 48 % des jeunes bénévoles s’engagent dans plusieurs domaines.
Le mouvement Révolution permanente, qui combine actions politiques structurées, mobilisations spontanées et campagnes numériques, est à l’image de cet engagement juvénile : difficile à cataloguer. Fondée en 2022, l’organisation révolutionnaire revendique son « caractère militant qui implique les mêmes droits et devoirs pour tous » (19). Un axe qui correspond aux attentes des jeunes, déçus par la verticalité et la place octroyée à l’individu au sein des organisations traditionnelles. On retrouve la même idée au sein de Banlieues Climat pour qui « on n’impose pas le pouvoir, on le construit ensemble ».
La société se doit d’accepter les spécificités de l’engagement des jeunes et de reconnaître la légitimité de leurs nouveaux modes d’action. Dans le même temps, elle porte la responsabilité d’attirer ceux qui sont les moins actifs, car souvent mal informés et désorientés. Bien que s’engager soit plus difficile pour les jeunes issus d’un milieu modeste, cela n’est pas impossible : ils surmontent les inégalités en créant des formes d’engagement innovantes, privilégiant le collectif, et qui sont tout aussi dignes d’être valorisées. Car, et cela s’applique à beaucoup d’entre eux, quand les jeunes s’engagent, en collectifs, ils sont « écoutés, mais pas entendus » (20).
Focus
Sources
1 (Re)donner et faire confiance à la jeunesse, étude de la Fabrique Spinoza, mai 2024.
2 L’engagement numérique, premier mode de participation des jeunes à la vie publique, Le Labo Société Numérique, janvier 2025.
3 Instagram et TikTok, au service des nouvelles formes d’engagement des jeunesses ?, Christina Diego, Carenews, juin 2022.
4 Imaginer un nouveau contrat de genre pour une démocratie paritaire en Europe, Réjane Sénac, Fondation Jean Jaurès, mars 2025.
5 « Fridays for future » : cinq ans après la première marche mondiale pour le climat, des jeunes toujours engagés, Blandine Garot, Novethic, mars 2024.
6 Synthèse 2023 : Les jeunes et l’engagement, Pro Bono Lab, octobre 2023.
7 Les colleuses, le féminisme à l’affiche, émission Zoom zoom zen, France Inter, février 2023.
8 « Les collages contre les féminicides : le signe de l’appropriation de l’espace public », Alexandra Mallah, in Mosaïque n°21 : Les Manifestations du sens d’ans l’espace public. Signes, symboles, symptômes, juin 2024.
9 « Les collages féministes : une pratique en trois temps. Matérialité, performativité et ethos », Laura Zin- zius, in Les écrits sauvages de la contestation, mai 2023.
10 Les « bifurqueurs » : face à l’urgence climatique, des étudiants de grandes écoles décident de boycotter cer- taines entreprises, Etienne Monin, France Info, mai 2022.
11 La nouvelle donne de l’engagement des jeunes générations en entreprise, BearingPoint et Edhec Business School, janvier 2021.
12 (Re)donner et faire confiance à la jeunesse, étude de la Fabrique Spinoza, mai 2024.
13 « On peut être entouré et avoir le sentiment d’être seul », Caroline Féral Palma, cidj.com, mai 2025.
14 Bonne feuilles : « Géopolitique de la jeunesse », Valérie Becquet et Paolo Stuppia, The Conversation, octobre 2021.
15 Rapport statistique - 2024 (provisoire), Réseau Cotravaux, sd.
16 Des élèves éco-délégués engagés pour la transition écologique et le développement durable, education. gouv.fr, mai 2025.
17 « Êtes-vous fait pour le logement solidaire ? », Odile Gnanaprégassame, cidj.com, juin 2022.
18 La parole des jeunes en Actions !, étude Ecosystème – Jeunes, Comisis-OpinionWay pour l’Observatoire des partenariats, mai 2023.
19 Bases politiques d’une nouvelle organisation révolutionnaire, Révolution permanente, janvier 2023.
20 « La participation des jeunes se joue dans le rapport de force », Achraf Manar, DémocratieS, le média critique de la participation, septembre 2023.