Temps modernes Conventions de stage payantes : le business gris qui vous fait payer pour travailler

Caroline Féral Palma
Publié le 24-10-2025

En bref

  • En France, un stage doit être intégré à un parcours de formation : inscription auprès d’un établissement, suivi pédagogique et au moins 200 heures de cours obligatoires, dont 50 heures en présentiel minimum.
  • La convention de stage est un contrat tripartite — étudiant, entreprise et établissement d’enseignement — qui atteste de ce lien pédagogique.
  • Certains jeunes diplômés ou hors cursus contournent ces règles grâce à des organismes privés qui vendent des conventions de stage. Stage obligatoire, mais convention inaccessible : le blocage des jeunes et des reconversions.
Conventions de stage payantes
Faute d’être inscrits dans une formation, des jeunes se tournent vers des conventions de stage payantes en ligne. Crédit : Canva - CIDJ

Stage obligatoire, mais convention inaccessible : le blocage des jeunes et des reconversions.

« J’ai payé 400 euros et j’ai reçu ma convention en 48 heures », raconte Antoine, 26 ans, étudiant à la Sorbonne. Alors que son université refusait d’en délivrer une, hors période précise, il a eu recours à Fac For Pro, un organisme privé. En un clic, il a obtenu le sésame indispensable pour décrocher un stage dans une agence de communication, une carte d’étudiant et des PDFs de cours… qu’il n’a jamais ouverts. Comme Antoine, 1,6 million de jeunes français effectuent un stage chaque année, selon le ministère du Travail. Mais pour en décrocher un, encore faut-il obtenir la fameuse convention de stage. Or, pour les jeunes en reconversion, hors cursus ou bloqués par des démarches administratives, c’est souvent impossible. À ce titre, Antoine rappelle les raisons de son choix : en pleine période de Covid, alors que beaucoup d’étudiants peinaient à trouver un stage, l’administration de son université refusait de s’adapter aux contraintes inhérentes à la crise sanitaire. Heureusement, il a eu « la chance de pouvoir payer. », reconnaît-il aujourd’hui. Et Dominique Glaymann, sociologue, de confirmer qu’il y a ceux qui peuvent mettre la main à la poche, « le plus souvent aidés par leur famille, et les autres, ceux qui ne le peuvent pas. » Or le stage demeure un sésame pour justifier d’une expérience professionnelle et espérer sortir du lot. Sans compter que « les stages permettent aux étudiants de mettre en pratique leurs acquis académiques », rappelle Maître Patrice Salman, avocat à la Cour.

Un « marché gris » des conventions de stage en ligne

Certaines plateformes ont flairé le filon et proposent des conventions “clés en main”. Pour quelques centaines d’euros, elles fournissent une convention en 24 à 48 heures. Leur argument ? La rapidité. Si, sur le papier, tout semble conforme, en réalité, le suivi pédagogique se trouve réduit à la portion congrue. Un établissement scolaire doit prouver une réelle activité de formation reconnue (code APE/activité d’enseignement, inscription au RNCP, certification Qualiopi pour la formation continue) et assurer en conséquence un certain volume annuel de cours par an pour être autorisé à délivrer une convention de stage (art. L124-1 du Code de l’éducation). Là où un établissement doit assurer 200 heures de cours par an, dont 50 en présentiel (art. D124-2 du Code de l'éducation), certains organismes se contentent du minimum, avec parfois de simples webinaires enregistrés. Et ils pullulent sur la toile en se faisant connaître sur les réseaux sociaux à l’aide de publicités ciblant spécifiquement les jeunes diplômés pressés ou étudiants bloqués dans leurs démarches. Le « coût de scolarité » varie de 250€ à près de 600 euros, selon l’ancienneté du diplôme obtenu. Farah (le prénom a été changé), 30 ans, diplômée depuis plus de deux ans et en reconversion, raconte même avoir falsifié son relevé de notes pour ne pas payer la convention au prix fort. Un paradoxe qui illustre le désordre de ce marché, juridiquement fragile, mais professionnellement payant. « C’est un contresens pédagogique, dénonce Dominique Glaymann, c’est comme demander à un étudiant de payer pour entrer en classe », ironise-t-il.

Conventions de stage en ligne : quels sont les risques légaux pour l'étudiant et l'entreprise ?

Que dit la loi sur les méthode discutables de ces organismes parfois enregistrés à Dubaï ou en Afrique du Sud ? Sur le papier, elle est claire : une convention doit être liée à une vraie inscription pédagogique. Sans formation réelle, le stage peut être déclaré nul. En conséquence, l’entreprise risquerait une requalification en contrat de travail (art. L124-7 du Code de l’éducation ; L1221-1 et L8221-5 du Code du travail), avec rappels de salaire et cotisations à payer. En pratique, ces sanctions sont rarissimes. Si les prud’hommes peuvent requalifier un stage, les jeunes hésitent à attaquer, de peur de se « griller » dans leur secteur. Et le phénomène ne concerne pas seulement des acteurs étrangers : certaines écoles françaises s’y mettent aussi. Thomas, 25 ans, diplômé d’un master 1 en journalisme, ne trouvait pas d’alternance. Son école lui a proposé une « réinscription hors cursus » pour 500 euros, avec convention à la clé. « On m’a dit que c’était comme si je faisais mon premier mois de stage gratuitement », raconte-t-il. Grâce à cette convention, il a pu travailler six mois dans une rédaction… avant de décrocher une alternance, l’année suivante. Pour certains, ces conventions sont en effet la seule porte d’entrée vers une première expérience. Sans elles, pas d’accès aux formations sélectives ni aux postes visés. Certaines entreprises vont même jusqu’à payer la convention à la place du stagiaire. Léa, 25 ans, diplômée, se souvient : « Une société de production m’a proposé de payer l’organisme pour moi » — probablement séduite par un profil expérimenté… au prix d’un stagiaire.

Payer sa convention de stage : une « bouée de sauvetage » qui ancre la précarité ?

Derrière cette flexibilité se cache une certaine banalisation de la fragilité. « On habitue les jeunes à accepter un début de carrière mal payé et mal encadré, alerte Dominique Glaymann, c’est une véritable socialisation à la précarité. » Le risque ? Ancrer dans les mentalités l’idée que commencer sa vie active dans des conditions dégradées est normal. Dans un pays en manque de main-d’œuvre, paradoxalement, certains jeunes motivés et qualifiés se trouvent dans une incapacité à se former correctement. « On devrait considérer les jeunes en formation comme une partie de la solution », rappelle Dominique Glaymann. Pour Me Salman, ce phénomène soulignerait surtout la rigidité du cadre actuel : « Il revient au législateur de repenser les conditions d’accès au marché du travail pour les jeunes et les employeurs. » Alors que le stage est devenu le graal de l’expérience professionnelle, le système des conventions mériterait une vraie réforme. En attendant, certains continueront à payer pour avoir le droit de travailler… gratuitement.

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