En tension Des étudiants infirmiers au bord de l’épuisement

Odile Gnanaprégassame
Publié le 17-04-2025

En bref

  • Près de 75 % des étudiants infirmiers se trouvent en détresse psychologique, un tiers d’entre eux suit un traitement.
  • Les conditions dégradées de leur stage sont mises en cause par la Fnesi.
  • Le cursus est en cours de modifications pour une entrée en vigueur de ces changements à la rentrée 2026.
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Parmi les 16 800 répondants à la dernière enquête de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers, près d’un quart déclare une santé mentale « dégradée » ou « très dégradée ». Crédit : -

Souffrances psychologiques et pensées suicidaires

« J’ai dû faire une interruption de formation en L3 pour pouvoir m’en sortir mentalement. J’en garde beaucoup de séquelles. » Ce témoignage, recueilli lors d’une enquête menée en novembre 2024 et février 2025 (16 800 répondants) par la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers, illustre l’intensité du mal-être vécu par beaucoup d’étudiants durant leurs études en soins infirmiers. En 2025, 70 % ont déjà pensé à arrêter la formation, et à plusieurs reprises pour une majorité. Il y a trois ans, ils n’étaient que 59 % dans ce cas de figure. Aussi, la consultation d’un professionnel de santé mentale suit la même tendance haussière : près de quatre étudiants sur dix ont consulté depuis le début de la formation, soit deux fois plus qu’en 2022. Et ce n’est pas tout. Un tiers déclare prendre des traitements (anxiolytiques, antidépresseurs ou hypnotiques), 22 % des somnifères. Mais l’épuisement physique et mental entraîne aussi des comportements addictifs avec un usage de produits qui vont de la cigarette à l’alcool en passant par le cannabis, la cocaïne, le LSD ou l’ecstasy. « Je ne peux plus dormir sans un joint », « L’alcool était la seule chose qui me permettait de me sentir bien », révèlent les concernés. 20 % des étudiants vont si mal qu’ils ont déjà eu des idées suicidaires en lien avec la formation. Et, un futur infirmier sur dix a déjà tenté de se suicider. Le point de convergence des difficultés éprouvées par les étudiants ? Le stage infirmier.

Comme un fil rouge, le stage revient de manière incessante dans les commentaires des répondants. L’enquête met au jour des conditions difficiles dans lesquelles les étudiants effectuent ces périodes de formation en milieu professionnel. D’ailleurs, 42 % des étudiants leur imputent leur envie de quitter la formation. « La nuit je fais des cauchemars à cause d’un de mes stages qui s’est mal passé, ça me terrorise », rapporte, par exemple, un témoignage. Plusieurs raisons se télescopent pour expliquer cette situation. D’abord, le manque d’encadrement de la part des tuteurs de stage, eux-mêmes confrontés à un planning surchargé dans un milieu hospitalier en tension. Ensuite, le manque de lieux de stages qui conduit à une concentration de plusieurs étudiants au même endroit (39 % des étudiants sont concernés). « L’encadrement ne peut plus être personnalisé », dénonce la Fnesi. Plus grave, 7 % des élèves infirmiers déclarent ne pas avoir eu de tuteur. Et, pour couronner le tout, les futurs soignants sont aussi confrontés à une autre constante : les violences sexistes et sexuelles. En 2025, près de 16 % estiment en avoir été victimes pendant leur formation. Dans 62 % des cas, ces violences sont commises en stage, majoritairement par un professionnel de santé, mais aussi par d’autres étudiants, et dans une moindre mesure par des tuteurs (8 %). Un témoignage relate : « Mon tuteur s’est permis de mettre ses mains sur mes hanches quand je préparais un antibiotique. Je n'ai rien osé dire par peur d’avoir un mauvais bilan de stage ». Dénoncer ces pratiques s’avère au mieux ignoré, au pire risqué. En 2025, pour obtenir une écoute et du soutien, plus de 100 étudiants ont contacté chaque mois la Fnesi par mail et plus de 10 par téléphone chaque jour.

D'ici 2040, diverses projections montrent que les besoins en soins infirmiers pourraient augmenter de près de 55 %. Et ce, dans un contexte dans lequel de nombreux étudiants déconseillent aux autres de suivre leur voie et ne recommandent clairement pas ce métier. Pour autant, la Fnesi appelle à ne pas continuer de surcharger un système de formation incapable d’absorber davantage d’étudiants. Elle souhaite notamment la mise en place d'une plateforme nationale d'évaluation des lieux de stage et la mise en place de cellules de lutte contre les violences. Mais aussi la revalorisation des indemnités de stage au même niveau que les étudiants des autres filières de l’enseignement supérieur ainsi qu’un meilleur accès aux services de santé universitaires. La fédération invite à considérer le bien-être étudiant dans la refonte en cours de la formation. Celle-ci devrait être appliquée à partir de la rentrée 2026. L'une des nouveautés concerne le temps de formation qui passe de 4 200 heures actuellement à 4 600 heures d'enseignements théoriques et cliniques, pour correspondre à la norme européenne. Toutefois, le cursus se déroulera toujours sur trois ans. Après avoir été débattu, l’allongement de la durée de formation à quatre ans a été écarté. Reste à savoir comment les établissements de formation réussiront à caser ces heures dans un parcours déjà bien rempli. L’un des plus denses parmi les formations paramédicales. Les arrêtés relatifs au nouveau référentiel de formation devraient être publiés d'ici à l'été 2025.

Une proposition de loi redéfinissant le rôle des infirmiers a été approuvée le 11 mars 2025, en première lecture à l’Assemblée nationale. Elle redéfinit les missions-socles des infirmiers : dispensation des soins et évaluation de ces soins ; orientation des patients ; conciliation médicamenteuse ; prévention, dépistage et éducation thérapeutique ; soins de premier recours ; participation à la formation des étudiants et à la recherche ; soins relationnels, incluant un soutien psychologique et un support thérapeutique. Le texte prévoit aussi que les infirmiers pourront effectuer des « consultations infirmières », poser des diagnostics infirmiers, et prescrire les produits et examens complémentaires nécessaires aux soins infirmiers dont la liste sera fixée par arrêté. Pour prendre en compte ces évolutions de compétences, une négociation sur la rémunération devrait se tenir. 

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