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Alcool : quand la publicité brouille les pistes sur les réseaux sociaux
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Le saviez-vous ? Depuis que la loi Évin autorise la publicité pour l’alcool sur Internet, les industriels de l’alcool ont investi les réseaux sociaux pour communiquer sur leurs produits. Pour y voir clair, des experts de la prévention santé et une spécialiste du marketing social décryptent les stratégies employées.
En 2009 est entrée en vigueur une évolution de la loi Évin autorisant, de manière encadrée, la publicité pour l’alcool sur Internet, contrairement à d’autres médias comme la télévision ou le cinéma. Cela a alors permis aux industriels de l’alcool d’investir un champ numérique très prisé des jeunes : les réseaux sociaux. Et les règles concernant la publicité pour l’alcool sont parfois enfreintes ou contournées, relèvent les associations de prévention.
« Le problème, c’est qu’on a affaire, comme pour le tabac, à des géants industriels mondiaux », explique Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’École des hautes études en santé publique et chercheuse en marketing social qui travaille sur les stratégies marketing déployées par les industriels de l’alcool. Pour la bière par exemple, ce sont quelques grands groupes qui se partagent le marché sans que cela soit forcément perçu par les consommateurs. « Certains brasseurs laissent entendre qu’ils sont encore des marques françaises familiales alors qu’ils ont été rachetés depuis longtemps par des multinationales. Et celles-ci disposent de moyens financiers importants pour élaborer leurs stratégies marketing. Sur les réseaux sociaux, les alcooliers cherchent à susciter l’engagement des internautes tout en restant discrets », précise la chercheuse. Une publicité et un marketing parfois en infraction avec la loi Évin : absence de mention indiquant qu’il s’agit d’une publicité, absence du message sanitaire légal à propos de l’alcool, publicité qui ne présente pas le produit de manière strictement informative et objective.
La neutralité de la publicité pour l’alcool pas toujours respectée
« Dans leurs publicités, les industriels ne doivent pas faire appel à l’imaginaire, à l’évasion, à des choses attractives, déclare Franck Lecas, juriste à l’ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie). Il faut que le contenu de la pub soit informatif et objectif. C’est-à-dire présenter la couleur, le goût, le degré d’alcool de la boisson alcoolisée par exemple ». Est-ce que les alcooliers s’y conforment ? « Non, il y a beaucoup de contournement en particulier sur les réseaux sociaux où ils font parfois appel à des influenceurs », répond le juriste. Un constat partagé par Pierre-François Chaboureau, coordinateur prévention à l’association Avenir Santé : « Les alcooliers cherchent à associer l’alcool à la convivialité, à la fête, pour que les jeunes fassent une association d’idées entre alcool et plaisir, alcool et détente ».
Même si la loi interdit aux alcooliers de faire de la publicité sur les sites dont le contenu apparaît comme étant dédié à la jeunesse ainsi que sur les sites de fédérations sportives, cela reste un critère parfois difficile à évaluer. « À l’ANPAA nous menons des actions lorsque nous constatons des infractions à la loi Évin et il n’est pas toujours évident de prouver qu’un site s’adresse bien aux jeunes », explique Franck Lecas. Concernant les réseaux sociaux, « il ne serait pas impossible que certaines publicités soient visibles par des très jeunes, notamment sur Instagram où certains influenceurs, jeunes eux aussi, ont des communautés encore plus jeunes », soulève Pierre-François Chaboureau. Un véritable problème quand on connaît l’influence que peuvent avoir ces réseaux sur ce public.
Alcool : des contenus incitatifs sur les réseaux sociaux
« Sur les réseaux sociaux, le challenge pour l’industrie d’alcool - et elle y arrive très bien - c’est de réaliser des messages publicitaires qui sont complètement en lien avec les centres d’intérêt des jeunes », analyse Karine Gallopel-Morvan. « Donc, il y a beaucoup de messages qui jouent sur l’humour, la camaraderie, le côté sympathique, les jeux de mots, des cadeaux à gagner, qui invitent les internautes à faire des apéros, à donner des idées de cocktails… Le contenu publicitaire est très travaillé pour cibler les jeunes, mais encore plus pour les inciter à s’engager ». La chercheuse en marketing social estime que les réseaux sociaux ne sont pas un support publicitaire comme un autre devant lequel les internautes restent passifs.
La forme classique de publicité comme une vidéo qui passe dans un fil d’actualité ne va pas être intéressante pour les alcooliers. Ces derniers misent sur les publicités qui engagent les internautes, qui les incitent à participer à des quiz, des devinettes, des jeux-concours, qui les incitent à "liker", à commenter, à partager... « Le fait que les internautes transfèrent des posts, diffusent des messages à leurs copains sur l’alcool, est plus efficace qu’un simple message publicitaire. Les marques d’alcool vont utiliser au maximum cet engagement des internautes pour les toucher et pour toucher la communauté qui les suit ». Parce qu’elle a parfaitement conscience que les jeunes se méfient des messages publicitaires, l’industrie de l’alcool se fait discrète et utilise des tiers pour promouvoir ses produits, sans forcément mentionner qu’il s’agit de publicité.
Quand les influenceurs aident à promouvoir l’alcool
« Ce qui fonctionne bien pour les alcooliers, c’est de travailler avec des bars ou des restaurants qui vont être « sponsorisés » pour organiser des soirées. Ces établissements communiquent sur les réseaux sur la tenue prochaine d’une soirée sympa avec pleins de cadeaux à gagner », dévoile Karine Gallopel-Morvan. Une pratique qui a du succès chez les jeunes mais les industriels ne s’arrêtent pas là. « Pour promouvoir leurs produits, ils font aussi appel à des influenceurs qui sont très suivis sur les réseaux sociaux. En 2017, une marque de bière a lancé une édition limitée d’une bouteille au design imaginé par un DJ en vue. La communication publicitaire a eu lieu sur les réseaux sociaux, renvoyant à la page Facebook du DJ, aimée par plus de 1,4 million de personnes, associant ainsi la marque d’alcool à ce DJ et à son univers festif », informe la chercheuse.
« Autre exemple, un youtubeur connu, rassemblant plus de 1,3 million d’abonnés sur sa chaîne, s’est associé à un important site de vente en ligne de bière pour lancer cette fois-ci une bière en édition limitée. On pouvait voir la vidéo mettant en scène le youtubeur habillé comme un roi et présentant un récit autour de cette bière », poursuit-elle. Cette vidéo, que le Youtubeur a partagée dans un post sur son compte Facebook, comporte bien les mentions sanitaires légales (" L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération " ) comme l’exige la loi mais il n’apparaît pas clairement qu’il s’agit d’une publicité. « Les publicités pour l’alcool (et tous types de produits) doivent être identifiables par les spectateurs qui les reçoivent. Or, sur les réseaux sociaux, ce n'est pas toujours mentionné. De même, les messages sanitaires obligatoires sur toutes les publicités pour l’alcool sont parfois écrits en tout petit, parfois pas du tout sur Internet », rappelle Karine Gallopel-Morvan. « De plus, valoriser, par exemple, une boisson alcoolique via un influenceur ou en associant une marque à un univers valorisant (fêtes, jeux, etc.) est interdit par la loi Évin. »
Le marketing pour l’alcool impacte-t-il la consommation des jeunes ?
Un article paru cette année dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs, Supplement recense et analyse les 25 études publiées entre 2010 et 2017 sur le marketing digital des industriels de l’alcool. Il en ressort que la très grande majorité établit un lien entre entre l’exposition et l’engagement des internautes au marketing digital des marques d’alcool (cliquer sur une pub, "liker" un post sur les réseaux sociaux, télécharger une pub...) et la fréquence de la consommation d’alcool ainsi que le "binge drinking" (alcoolisation ponctuelle importante).
« L’accessibilité du produit, son prix, sa visibilité, l'image qui lui est associée, constituent des facteurs qui peuvent amener un jeune à consommer. Aux côtés de festivals ou concerts très investis par les marques d’alcool, Internet et les réseaux sociaux constituent un environnement à surveiller. Nous mettons actuellement en place un observatoire pour faire remonter ce qui se passe dans la sphère du numérique », annonce Pierre-François Chaboureau. « Plus on est jeune plus c’est intéressant pour la publicité, car la façon de réagir au message va s’inscrire dans notre mémoire profonde. Avec de fortes chances que cela perdure jusqu'à l'âge adulte », explique Hélène David, responsable à la consultation jeunes consommateurs de l'association Charonne.
Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 09-06-2020
/ créé le 08-06-2020
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