Entretien Violences sexuelles entre enfants : une enquête brise le tabou

Laura El Feky
Publié le 04-06-2025

En bref

  • Entretien avec la journaliste Aude Lorriaux, qui alerte sur l’ampleur des violences sexuelles entre enfants, un phénomène encore largement méconnu.
  • En France, près de la moitié des violences sexuelles sur mineurs sont commises par d’autres enfants, souvent dans le cadre scolaire.
  • Faute de protocoles clairs et d’accompagnement adapté, les victimes se retrouvent fréquemment contraintes de changer d’établissement.
Violences sexuelles à l'école
Près d’un auteur d’agression sexuelle sur mineur sur deux est lui-même mineur, rappelle la journaliste Aude Lorriaux. Crédit : Chuttersnap / Unsplash

Pourquoi avoir consacré une enquête au sujet des violences sexuelles entre enfants ?

Aude Lorriaux, journaliste à 20 minutes et auteure de Tableau noir, aux éditions Stock : « J’ai longtemps travaillé sur les discriminations et les questions de genre, d’abord à Slate puis à 20 minutes, en enquêtant notamment sur les violences faites aux femmes, un sujet aujourd’hui mieux reconnu. En m’intéressant aux violences subies par les enfants, j’ai constaté qu’on était loin du même niveau de prise de conscience. En France, la parole des enfants reste peu entendue et les institutions ne sont pas adaptées à leurs besoins. Le déclic s’est produit à la lecture d’un témoignage où une mère expliquait que si ça avait été des adultes, jamais on ne les aurait forcés à continuer à travailler ensemble. On tolère des situations sous prétexte qu’il s’agit d’enfants. En me plongeant dans les chiffres, j’ai découvert que près d’un auteur d’agression sexuelle sur mineur sur deux est lui-même mineur et que l’école, après la famille, est le principal lieu de ces violences, selon un rapport confidentiel de l’Inspection générale de l’Éducation nationale. »

Aude Lorriaux : « En vingt ans, le nombre de plaintes pour agressions sexuelles impliquant des mineurs a bondi de 300 %, et les plaintes pour viol ont doublé ces dernières années. L’effet #MeToo a permis de conscientiser un peu plus les violences sexuelles. Les parents portent davantage plainte, ce qui fait mécaniquement augmenter les chiffres. Mais ces violences sont aussi plus fréquentes. Selon les experts, cette hausse a commencé bien avant #MeToo, avec l’arrivée des smartphones, des réseaux sociaux et une exposition à la pornographie. »

Focus

Violences sexuelles entre enfant : quand s’inquiéter, quand signaler ?

Ce guide du CRIAVS Ile-de-France, recommandé par la journaliste Aude Lorriaux, aide parents et professionnels à comprendre les comportements sexuels des enfants et adolescents. Il permet de distinguer la curiosité normale d’un comportement préoccupant nécessitant l’avis d’un spécialiste. Il aide ainsi à repérer les situations qui demandent une attention particulière.

Aude Lorriaux : « Il existe plusieurs raisons. D’abord, le sujet est difficile, y compris pour les journalistes : lors de la dernière enquête sur le harcèlement scolaire, aucun article de presse n’a évoqué la question des violences sexuelles, alors même que les données sont publiques, tout comme celles issues des enquêtes sur le climat scolaire. Dans les établissements, une forme d’autocensure institutionnelle s’installe : les enseignants qui tentent d’alerter se heurtent à la minimisation de leur hiérarchie. Les animateurs ou animatrices scolaires sont rarement formés à repérer ces situations et, par peur d’être tenus pour responsables, peuvent être tentés de ne pas agir. Beaucoup d’adultes peinent à imaginer qu’un enfant puisse être agresseur, préférant parler de « jeux » ou de découverte normale du corps, alors que certains comportements sont en réalité la reproduction de violences subies ou observées. On sous-estime ainsi l’impact psychologique, en pensant que "ce ne sont que des enfants", alors que les conséquences pour les victimes sont bien réelles. »

Aude Lorriaux : « Nous sommes très en retard en France sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles dans l’enfance, alors que 5,5 millions de personnes sont concernées. Il existe peu de centres spécialisés et une pénurie de pédopsychiatres, ce qui rend l’accès aux soins difficiles et les délais d’attente interminables. À l’école, l’absence de protocoles clairs conduit à des réponses inégales selon les établissements ou les rectorats. Faut-il exclure systématiquement l’agresseur ? Vers qui orienter la victime ? Quelles associations ou spécialistes solliciter ? Rien n’est vraiment cadré. Beaucoup d’experts recommandent la création d’une instance dédiée, à l’image de la cellule « pHARe » qui existe pour le harcèlement scolaire. Aujourd’hui, c’est généralement la victime qui est invitée à changer d’établissement, quand elle n’est pas tout simplement laissée sans solution. Aussi, il arrive fréquemment que les victimes, en changeant d’école, soient stigmatisées ou soupçonnées à tort, tandis que les agresseurs restent dans l’établissement, parfois sans aucune conséquence. Comme le souligne Emmanuelle Piet, présidente du Collectif français contre le viol, cela revient à laisser les agresseurs parader comme des petits coqs dans les cours d’école, au détriment des victimes. »

Focus

Un questionnaire pour les élèves

À la suite du scandale des violences au collège-lycée de Bétharram (Pyrénées-Atlantique), l’Éducation nationale a élaboré deux questionnaires anonymes pour recueillir la parole des élèves : l’un destiné aux internes des établissements publics et privés, l’autre aux élèves ayant participé à des voyages scolaires. Expérimentés depuis fin avril dans sept académies, ces questionnaires seront généralisés à la rentrée 2025. Ils s’inscrivent dans le plan « Brisons le silence » et visent à mieux détecter les situations de violence.

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