Témoignage Le monde selon Eva : ado dys dans une vie en désordre alphabétique
En bref
- Eva est dyslexique et présente des troubles de la mémoire, de la concentration comme du langage.
- Diagnostiquée en 2023, elle grandit dans un monde bruyant et rapide, peu en phase avec ses besoins.
- Malgré ses difficultés, elle se montre combative, lucide et profondément optimiste.
Les sommets du quotidien
Dans une salle de classe, une adolescente lit un texte. Mais les lettres dansent sur la feuille : les mots se mélangent et les phrases lui échappent. Le moindre bruit la distrait. Alors le cœur s’emballe et les larmes montent : « Chaque chose que je fais exige un effort particulier. » Cette phrase, Eva la prononce sans colère, mais avec lucidité. À bientôt 15 ans, cette adolescente « dys » affronte un monde qui ne semble pas taillé pour elle. Lecture, mémoire, attention, langage : tout relève du défi. Sportive, Eva aime aussi dessiner, faire de la pâtisserie et écouter de la musique. Une ado comme les autres, en apparence. Mais pour elle, les gestes du quotidien deviennent des sommets à gravir : « Je me lève deux heures plus tôt pour réussir à me préparer le matin, car tout me prend du temps ». La benjamine d’une fratrie de quatre a toujours été différente. Enfant timide, hypersensible et anxieuse, elle dormait peu et se plaignait souvent de douleurs. En dehors du cercle familial, elle peinait à s’exprimer si bien qu’à l’école, outre sa lenteur, l’apprentissage de la lecture comme de l’orthographe a viré au drame. « Les lettres se mélangent », disait-elle, et le port de lunettes n’y changeait rien. Pour la jeune fille, la pandémie liée au Covid se matérialise par une infection sévère, suivie de mois d’épuisement pour aboutir, de lutte lasse, à une chute préoccupante de ses résultats.
Poser des mots sur les maux
Au collège, les professeurs tirent la sonnette d’alarme. Un bilan multidisciplinaire révèle des troubles importants de la mémoire, de la concentration, un retard verbal, une dyslexie, ainsi que des troubles psychoaffectifs. Mais aussi un haut potentiel en visuospatial (soit la capacité à se repérer dans l’espace) ainsi qu’en mathématiques. Le diagnostic est posé : « Ça m’a fait du bien qu’un professionnel me le dise, même si ce n’est pas chouette de vivre ça. Je ne vais pas m'en réjouir. » Ce bilan permet néanmoins de mettre enfin en place des aides concrètes : séances d’orthophonie, suivi psychologique, soutien personnalisé et aménagements scolaires. La psychologue devient alors un pilier essentiel pour la jeune fille, même si ces rendez-vous alourdissent un quotidien déjà chargé. Pour ses parents, comprendre ses troubles a été un tournant, de quoi changer leur regard et renforcer leur indulgence. À l’école, Eva évolue dans une classe ordinaire, souvent bruyante, dans laquelle se creuse le décalage. « Ils me disent qu’ils comprennent ce que j’ai, mais qui peut le comprendre réellement ? » Malgré sa bonne volonté, les oublis sont fréquents. Un événement survenu une minute plus tôt ? Une consigne simple ? Eva oublie, mais Eva s’organise à grand renfort de Post-its : « Dès que je pense à quelque chose que je ne dois pas oublier, je l'écris. » Et les bouts de papier consignent souvent des choses bien ordinaires comme « se brosser les dents »…
Un avenir plein de ressources
Le langage est aussi un défi. Faute de vocabulaire précis, elle use et abuse de substituts sémantiques indéfinis à commencer par le plus répandu, le « truc ». Reste à ses parents de deviner qu’un « truc qui fait vroum » n’est pas une auto, mais un aspirateur. Sans surprise, les devoirs tournent au cauchemar : longs et épuisants, ils ne s’achèvent que très tard. Aussi l’école lui accorde plus de temps pour les évaluations, un placement stratégique et des consignes simplifiées. En parallèle, elle suit des cours particuliers en mathématiques quand la fratrie joue un rôle clé dans son apprentissage en l’aidant chacun à sa manière. Si le découragement guette souvent Eva, elle ne baisse pas les bras même si, « quand je dois faire une tâche qui me demande trop d’effort… j’abandonne, puis je regrette. C’est très frustrant. » Son entourage reste confiant pour l’avenir, car l’adolescente ne manque pas de ressources : elle joue de trois instruments – flûte traversière, piano, violon –, peint et dessine avec régularité et application. Énergique, elle pratique aussi bien le patinage artistique que le krav-maga (self-defense). Volontaire, elle va bientôt commencer un traitement pour améliorer sa concentration, dans l’espoir d’aborder les apprentissages avec plus de sérénité. Aujourd’hui, les troubles « dys » font l’objet d’une meilleure reconnaissance et bénéficient d’un suivi plus structuré, bien qu’imparfait. Pour Eva comme pour d’autres, ils ne constituent pas un obstacle insurmontable, mais une particularité qu’il faut savoir reconnaître et accompagner. À la hauteur des efforts que les dys fournissent au quotidien.