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Paléontologue : le métier de Ross, dans la série Friends, est-il réaliste ?

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Paléontologue, le métier de Ross Geller dans la série Friends

Ross Geller, frère de Monica et amoureux transi de Rachel, est LE passionné de dinosaures de la bande d’amis de la cultissime série Friends. Tout d’abord paléontologue au Muséum d'histoire naturelle puis enseignant à l’université de New York, le métier de Ross correspond-il vraiment à la réalité ? Pour tenter d’y répondre, la rédaction de Cidj.com a interrogé Ronan Allain, véritable paléontologue au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

« Je n’ai jamais été un geek de dinosaures ! », plaisante Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle. « J’aimais bien ça, comme tous les enfants, mais je n’avais pas non plus 50 000 figurines de dinosaures dans ma chambre », prévient-il avant d’ajouter « en revanche, maintenant, j’en ai énormément dans mon bureau ! » Et de nous avouer posséder un mug jaune avec un tricératops et "Ross" marqué dessus. Un clin d’œil à la série emblématique Friends qu’il a regardé plus jeune et que sa fille affectionne aujourd'hui.

Les paléontologues sont-ils forcément des intellos barbants ? 

« On apprend au début de Friends que Ross est paléontologue », fouille Ronan Allain dans sa mémoire, « Et même si ce n’est pas quelque chose de moteur dans la série, c'est assez souvent évoqué. La première fois qu’on le voit exercer, il est en train de préparer une exposition et on voit, comme le dit Ross lui-même, des hommes des cavernes. » Logique. Les expositions sont « une partie importante du métier et c’est surtout la partie visible. On est des scientifiques, la plupart des choses que l’on fait ne se voit pas mais la partie émergée de l’iceberg, ce sont les expositions et l’engouement du public pour la paléontologie, en particulier pour les dinosaures et la Préhistoire. » 

Un engouement toutefois relatif dans la série, puisque Ross est surtout perçu par ses amis comme l'expert en fossiles, intello et très barbant ! « C’est un peu gonflé mais c’est exactement ça, s’amuse le paléontologue. On est parfois pris pour des gentils fous (rires). En France, on n’est pas bon en sciences naturelles parce que nos élites ne sont pas des scientifiques. Certaines personnes sont même imperméables à la thématique. Quand mes parents et mon grand-père ont appris ce que je voulais faire comme métier, ils ne comprenaient pas ». A l’inverse, « ma femme, que j’ai rencontrée sur un chantier archéologique, et mes enfants m'accompagnent et fouillent avec moi depuis 10 ans, ils sont très demandeurs. A huit mois, dans son couffin, mon fils était déjà dans le Haut-Atlas. » De façon générale, « les gens nous regardent bizarrement car ils n’arrivent pas bien à comprendre ce qu’on fait. C'est vrai qu’on n’a pas de journées type ».

Paléontologue : la série Friends montre plusieurs facettes du métier...

« On n'est pas dans la routine », explique celui qui peut « animer une conférence devant 100 personnes un matin, se retrouver le lendemain face à une classe de maternelle et le surlendemain préparer un fossile en le plongeant dans de l’acide ».

« Ce qu’il y a de sympa dans le personnage de Ross, c’est qu'il nous dévoile plusieurs facettes du métier. Cela reste une fiction mais certaines choses sont très vraies », poursuit Ronan Allain. A plusieurs reprises, « on voit Ross enseigner, c’est tout à fait normal puisque ça fait partie du métier de paléontologue. On est capable d’enseigner un certain nombre de matières, comme la biologie ou la géologie. Dans un épisode, Ross fait d’ailleurs un cours sur le sédimentaire », précise Ronan Allain lui-même responsable d’un master à Sorbonne Université. D’ailleurs, « le poste d’enseignant est proposé à Ross car il a publié quelque chose, se souvient Ronan Allain. Dans le monde scientifique, on est censé publier les résultats de nos recherches et c’est là-dessus que l’on est jugé. » 

Autre élément crédible, lorsque Ross se rend à des colloques, à la Barbade notamment où il s'envole avec sa joyeuse bande. « C’est vrai qu'en tant que chercheur, on bouge beaucoup et pas seulement dans le domaine de la paléontologie », explique Ronan Allain, avant de nuancer, « ça va potentiellement changer dans un futur proche car prendre des avions et avoir des émissions carbone importantes juste pour aller échanger deux jours avec des collègues à l’autre bout du monde, ce n’est peut-être pas ce qu’on fait de mieux. » En attendant, ça reste malgré tout un pan important de la recherche scientifique, surtout pour un jeune chercheur qui a besoin « de se faire connaître, de trouver des postes à l’étranger et de susciter de nouvelles collaborations ». Toutefois, selon le paléontologue, les gens idéalisent beaucoup le monde de la recherche : « Ce n’est pas les Bisounours ! C’est passionnant, intéressant, mais on est largement sous-payé par rapport à nos niveaux d’études en comparaison de ce qui se fait dans d’autres pays. Ce n’est pas un monde rigolo non plus, on baigne dans la cooptation et le mandarinat. Il ne faut pas croire qu’on y arrive qu’au mérite : beaucoup de gens restent sur le bord de la route alors qu’ils méritaient tout autant d’avoir un poste. ». Les premières années, ce sont souvent des CDD (post-doc à l’étranger, ATER…) qui attendent les titulaires d’un doctorat. « J’ai mis cinq ans à trouver ce poste après ma thèse », souligne le paléontologue.

Mission d’expertise, de recherche, de médiation scientifique, d'enseignement, de conservation des collections…La représentation du métier de paléontologue dans la série Friends est-elle globalement un sans-faute ? Pas tout à fait…

Mais Ross Geller est un paléontologue trop pépère, jamais sur le terrain !

Là où on tombe sur un os (et pas de dinosaure !), c'est qu'il y a un aspect qui manque cruellement au personnage de Ross. « Je crois qu’à aucun moment on ne l'entend dire qu’il part sur le terrain pour aller chercher des fossiles, pointe Ronan Allain. Ross a ce côté un peu plan-plan, pépère, qui attend que les fossiles arrivent à lui ! » La réalité d’un paléontologue est pourtant tout autre : « On a une grosse part de terrain car les plus grandes avancées en paléontologie sont faites quand on découvre de nouveaux fossiles, insiste-t-il. Et, à moins de toujours travailler sur des collections existantes, ces découvertes ne se font pas toutes seules. « A une époque, j’étais quasiment deux mois par an sur le terrain. On est aussi appelé à travailler à l’étranger. Je travaille beaucoup au Maroc, au Laos ou au Lesotho. Des pays très différents les uns des autres, avec des cultures très diverses et des dinosaures qui ne sont pas les mêmes. » Contrairement à Ross Geller, le paléontologue parisien essaie d'aller un maximum sur le terrain. Dès la classe de seconde, il passait d'ailleurs ses étés sur des chantiers de fouilles par le biais d'associations. « J’ai appris à creuser, pas pour le plaisir de creuser puisqu'il faut comprendre le contexte, ni pour le plaisir d’avoir un trésor chez soi puisque tout est déposé dans les musées. »

Pour autant, « l’aspect terrain version Jurassic Park ou Professeur Tournesol », ce n’est pas ça non plus. « Quand vous organisez des fouilles, qu’elles soient à l’autre bout de la planète ou même en France, comme sur le site d’Angeac-Charente qui réunit une équipe de 30 à 50 personnes, vous avez intérêt à avoir les pieds sur terre ! » Le scientifique qui travaille seul dans son laboratoire est un mythe. « On est en collaboration permanente avec d'autres personnes, rappelle Ronan Allain. Quand on lance un projet, c’est toujours un gros travail tant d’un point de vue administratif, que logistique, relationnel ou humain. »

De retour de terrain, il faut prendre le temps d’étudier les découvertes pour comprendre la vie à différentes époques, et voir pourquoi et comment elle a évolué. Il y a aussi tout le côté technique du métier, en laboratoire, et que l'on ne voit pas dans le quotidien de Ross Geller. Cette phase où il faut dégager le fossile de sa roche, le scanner, l’analyser. « C’est le côté extraordinaire de la découverte, ça se fait à plusieurs reprises : une première fois sur le terrain, une deuxième fois au laboratoire et même une troisième fois quand vous annoncez officiellement votre découverte ! » Tout ça prend bien évidemment du temps. « Quand on trouve un squelette de dinosaure complet, entre le moment où vous avez lancé le projet et le moment où on publie sur le sujet, il peut s’être passé dix ans ! ». Dix ans... comme le nombre d'années qu'a duré la série Friends !

Laura El Feky © CIDJ
Article mis à jour le 15-06-2021 / créé le 10-06-2021