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Hyperphagie boulimique : comment sortir de ce trouble alimentaire ?

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Hyperphagie boulimique : comment sortir de ce trouble alimentaire ?

L’hyperphagie boulimique entraîne des prises alimentaires excessives et installe un cercle vicieux délétère chez 3 à 5 % des Français. Des spécialistes de santé décryptent les mécanismes à l’œuvre dans ce trouble des conduites alimentaires (TCA) et indiquent quelles démarches adopter pour se faire aider.

« Pendant des années, les psychiatres et les psychologues ont reçu des patients qui vivaient des épisodes durant lesquels ils mangeaient une très grande quantité de nourriture de manière compulsive. Mais, à la différence de personnes souffrant de boulimie, ils ne se faisaient pas vomir et n’avaient pas recours aux laxatifs pour éviter la prise de poids », relate Karen Demange, psychologue spécialiste des troubles du comportement alimentaire. De quoi laisser tous les professionnels de santé bien dubitatifs quant à la nature d’un trouble éventuel. 

La quarantenaire se souvient d’avoir fréquenté quantité de cabinets de psy sans qu’aucun diagnostic ne soit jamais posé. On imputait son surpoids à de la gourmandise ou pire à de la fainéantise. Quand Karen Demange pressentait une raison psychologique. Et le temps lui donnera raison : elle souffrait d’hyperphagie boulimique. Soit le trouble des conduites alimentaires (TCA) le plus répandu chez les Français selon la Haute autorité de santé. Mais il aura fallu attendre 2015 pour qu’il soit officiellement répertorié dans la 5e et actuelle version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) de l’Association américaine de psychiatrie.

Moins bien identifié par le grand public que l’anorexie mentale ou la boulimie, ce TCA peut se révéler difficile à repérer par les personnes qui en souffrent. Bien souvent, elles se reprochent un simple manque de volonté. Alors, comment repérer que l’on souffre en réalité d’hyperphagie boulimique ? Karen Demange fournit des pistes pour s’y retrouver. Mais nous avons aussi donné la parole à Dominique-Adèle Cassuto, médecin endocrinologue et nutritionniste, autrice de l'ouvrage Silhouette, mon amie, mon ennemie (La Martinière Jeunesse), pour aborder les particularités liées à l’adolescence. Les deux spécialistes s'accordent : les « craquages » alimentaires ne relèvent pas toujours de la pathologie.

Quand la prise alimentaire réconforte

On a tous en tête l’image d’un personnage de film ou de série qui se jette sur un pot de glace pour se consoler d’une peine de cœur ou d’une dispute.
« Recourir à la réponse alimentaire face à une émotion, c’est normal », avance Karen Demange. Cette pause alimentaire nous apaise, on se sent mieux après. Et la psychologue de préciser : « On sait que le cerveau va sécréter des hormones du bien-être en mangeant un aliment que nous aimons particulièrement, sucré, salé, gras selon les affinités ». Par la suite, l’esprit ne restera pas centré sur la nourriture, laissant la place aux occupations habituelles. Rien d’alarmant si cela reste ponctuel. De même que la prise de repas copieux de temps en temps ne signifie pas un désordre alimentaire.

Mais où placer le curseur ?« C’est délicat » prévient le docteur Dominique-Adèle Cassuto qui reçoit régulièrement des parents inquiets de voir leurs ados « trop manger » à 16 heures. Car, en pleine croissance, les besoins nutritionnels augmentent considérablement d’autant qu’il n’est pas rare que les ados ne déjeunent pas le matin ni assez le midi. En fin de la journée de cours, ils se retrouvent affamés. Et « se lâchent » au goûter. « C’est normal de compenser le manque alimentaire au regard de l’intervalle important depuis le dernier vrai repas », observe le Dr Cassuto qui préférerait que les ados prennent un repas complet à la cantine plutôt qu’un sandwich insuffisant sur le plan nutritionnel.

Mais si ce craquage intervient après une restriction volontaire pour éviter la prise de poids, c’est autre chose. Elle prévient : « Plus on se limite, plus la perte de contrôle sur les prises alimentaires est forte, pouvant laisser place à des crises d’hyperphagie boulimique ». Soit l’absorption d’une quantité très importante de nourriture, en un temps restreint et de manière compulsive. Et ce comportement alimentaire vient à se répéter souvent, il devient pathologique.

Hyperphagie boulimique : quels symptômes ?

« Les crises d’hyperphagie boulimique doivent se produire au moins une fois par semaine durant trois mois avec un sentiment de perte de contrôle sur l’alimentation », peut-on lire dans le DSM-5 qui liste 5 critères complémentaires : manger beaucoup plus rapidement que la normale ; manger jusqu'à se sentir mal à l'aise ; manger de grandes quantités de nourriture sans ressentir physiquement la faim ; manger tout seul à cause de la honte ; ressentir du dégoût, se sentir déprimé ou coupable d'avoir trop mangé. Pour être diagnostiqué, il faut présenter au moins trois de ces symptômes.

Selon Karen Demange, les personnes hyperphages alternent entre périodes de craquage où elles mangent sans restriction, avec ou sans crise d’hyperphagie boulimique, et périodes de réparation où elles vont réduire leur alimentation en raison d’une prise de poids. Contrairement aux personnes boulimiques qui ne présentent pas de surpoids, les hyperphagiques ne compensent pas immédiatement leurs compulsions alimentaires. Et généralement, elles se tournent vers les aliments qu’elles s’interdisent, car jugés trop caloriques. S’installe alors un véritable cercle vicieux : la restriction extrême entraîne de la frustration qui déclenche à nouveau une phase hyperphagique conduisant à une très forte culpabilisation. Et au retour à la restriction.

La psychologue évoque un comportement addictif et obsessionnel : « Les pensées des hyperphages gravitent constamment autour de la nourriture :
« qu’est-ce que je vais manger / pourquoi j’ai mangé ça ». Certains hyperphages décrivent une telle prise alimentaire qu’elle occasionne des douleurs très violentes au ventre. La souffrance physique prend le pas sur la souffrance psychique. « La crise hyperphagique peut aussi servir de bulle pour ne plus penser à ce qui nous préoccupe », insiste Dominique-Adèle Cassuto.

Cela s'explique, car « il s’est passé quelque chose psychologiquement qui conduit à détourner l’alimentation de sa fonction nutritive première à des fins médicamenteuses, anxiolytiques ou antidépressives », décrypte Karen Demange. Cependant, l’alternance de crises d’hyperphagie, de grignotages incessants et de périodes de restriction demeure fréquente chez les ados. Mais pour Dominique-Adèle Cassuto, « tous ne développent pas pour autant un trouble des conduites alimentaires ». Les critères cités dans le DSM-5 définissent un cadre de référence. Seul un professionnel de santé possède la compétence pour établir un diagnostic. Il ne faut pas hésiter à en parler pour bénéficier d’un accompagnement approprié.

Changer son rapport à l’alimentation

Nutritionniste ou diététicien, médecin traitant et psychologue s’associent pour une prise en charge pluridisciplinaire. « Ça ne va pas se faire du jour au lendemain, mais on peut s’en sortir », assure Karen Demange. Les premières séances chez la psy consistent à comprendre la place de l’hyperphagie dans la vie du patient. « Je remonte à l’origine du mal pour savoir à quoi il a pensé au moment d'aller vers ce comportement alimentaire. » C'est le principe de la thérapie cognitivo-comportementale qui donne de bons résultats.

« Nos comportements restent liés à notre manière de penser. Modifier sa manière de penser à la nourriture ou de penser à ses émotions aura probablement une incidence positive sur la façon d’agir avec la nourriture » éclaire la psychologue. Souvent, les personnes souffrant d’hyperphagie ne savent plus différencier l’envie de manger (qui n’exprime pas un besoin nutritionnel) de la faim (qui correspond au besoin physiologique de manger). « Par l’échange, j'amène le patient à réfléchir à ce qui serait bon pour lui. Il faut donner du sens à ce qui se passe dans le corps et dans la tête, apprendre à gérer ses besoins, parfois sa gourmandise. » En parallèle, un accompagnement par un professionnel de la nutrition s’avère nécessaire.

Mais pas facile de surmonter la honte que ressentent les personnes hyperphagiques à l'idée de parler de leur situation. À ce titre, Karen Demange se réjouit d’une avancée liée à la crise sanitaire : le développement de la téléconsultation. « Ça peut aider à débloquer la crainte ou la réticence de consulter un psy : on effectue un premier pas vers le soin tout en restant dans sa zone de confort chez soi ». Et le docteur Dominique-Adèle Cassuto de rappeler que « Les confinements ont constitué des moments terribles pour les troubles alimentaires chez les jeunes. » Mais elle appelle à ne pas dramatiser la prise de poids chez les adolescents déjà tiraillés entre les injonctions d’apparence sur les réseaux sociaux et autres conseils healthy prodigués par des « coachs ». Des discours dangereux susceptibles de provoquer des TCA. « Manger selon son appétit et se recentrer sur le rassasiement. En parler à ses parents ou à son médecin si on mange sans avoir faim », martèle-t-elle en rappelant les lignes d’écoute comme le Fil santé jeunes. Il existe une ligne dédiée aux TCA, Anorexie Boulimie, Info écoute (prix d'un appel local + 0,06 €/min) accessible au 0 810 037 037, du lundi au vendredi de 16h à 18h.

Les recommandations officielles de type manger cinq fruits et légumes par jour demeurent des repères. Aucune obligation de les suivre à la lettre. Tout comme la courbe de poids sur le carnet de santé qui établit une « norme » très large. « Un repère, c’est un chemin à l’intérieur duquel on conserve le droit de se balader », conclut le Dr Cassuto. À retenir quand on sait que les troubles des conduites alimentaires naissent aussi aux confins d’une mésestime ou d’un manque de confiance en soi.

 

Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 01-03-2023 / créé le 01-03-2023