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Avec « Glacier », Anna Kotelnikov porte son orchestre au sommet de son art

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Avec « Glacier », Anna Kotelnikov porte son orchestre au sommet de son art

À 20 ans, Anna Kotelnikov est co-fondatrice de l'Orchestre du Nouveau Monde, un collectif de musiciens engagés. Pour le court-métrage « Glacier » de l'activiste Camille Etienne, les musiciens ont joué au sommet d'une montagne enneigée. Cette aventure s'inscrit au cœur du combat d'Anna, jeune militante qui met son art au service de l’écologie.

On n’entend pas Anna Kotelnikov, on l’écoute. Si la voix n’est pas son instrument de prédilection, la musicienne l’utilise pourtant avec justesse. De l’autre côté du téléphone, ses mots, tels des flots, s’enchaînent à l’unisson. Co-fondatrice d’un orchestre engagé, elle fait de son quotidien sa passion, et sa passion l’a amenée au sommet. Littéralement. En 2022, la jeune artiste a participé au court-métrage “Glacier”, réalisés par le duo d’activistes écologistes Camille Etienne et Solal Moisan et publié sur Youtube en décembre dernier. 

Inscrire son art dans la roche

Son histoire débute à Chatou, dans cette petite commune privilégiée des Yvelines où l’industrie musicale a connu son âge d’or au début du XXème siècle. Les disques cylindriques, puis en cire avant l’irruption du microsillon, on les doit aux frères Pathé. En 1898, à quelques centaines de mètres de l’île des Impressionnistes, Charles et Émile érigeaient la première usine phonographique française. Anna n’a rien vu de tout cela, et pour cause, elle est née un bon siècle plus tard. 

En 2022, dans la salle Louis Jouvet où se tient un festival autour des films écologiques, la musicienne de 19 ans n’a qu’une idée en tête : rencontrer Camille Etienne. La militante écologiste y est venue présenter son dernier court-métrage, Génération. Co-fondatrice d’un tout nouvel orchestre, intitulé L’Orchestre du Nouveau Monde, Anna est bouleversée par l’engagement de Camille et entend bien rejoindre ses rangs. « On est jeunes, musiciennes et engagées, appelle-nous quand tu veux ! », lance Anna. « Ça tombe bien, je travaille sur un nouveau projet et le tournage est dans deux mois ! », rétorque Camille Étienne. La rencontre sera fructueuse. 

Quelques semaines plus tard, l’activiste pose ses caméras à Peisey-Nancroix (Savoie), son lieu de naissance, pour tourner un troisième court-métrage, Glacier. Avec ce projet, la musique prend une place de choix. Et c’est à l’orchestre du Nouveau Monde de donner du relief à l’image en jouant le thème principal au sommet d’une montagne. « Tout s’est rapidement emballé, on est partis en milieu de journée parisienne pour se retrouver dans la montagne enneigée le soir même », se remémore Anna. 

S'ensuivent trois jours intensifs de tournage, durant lesquels le respect de l’environnement demeure la principale préoccupation. Évidemment, les repas végétariens et les vêtements de seconde main sont de rigueur. Et, pour aller jouer et filmer dans les cimes, l’usage de scooters des neiges demeure proscrit. « Ce sont les enfants de l’école de ski qui nous ont aidés à monter le matériel, précise Anna. Une fois là-haut, c’était incroyable de voir tous nos instruments sur un fond blanc, car d’ordinaire ils ne sortent jamais des salles de musique ! ». Si cette novice des montagnes avoue avoir eu très froid, elle retiendra de ce tournage des moments humains très forts et de longues balades : « Loin de Paris, on a pris le temps de souffler. » 

Un combat sur deux fronts

Et pourtant, souffler, ce n’est pas son truc à Anna. Enfant, après avoir testé plusieurs instruments, elle jette son dévolu sur le violon au détriment de ceux à vent. Si elle a plusieurs fois été tentée d’arrêter, comme « de nombreux autres élèves », ses parents ne la lâchent pas. À raison. Aujourd’hui, étudiante au conservatoire et aux Beaux-Arts de Cergy, il faudrait la menacer pour l’arrêter de jouer. « Je ne sais pas encore quelle place aura la musique dans le futur, mais ce qui est certain c’est qu’elle m’a toujours accompagnée jusqu’ici. Elle me porte, au quotidien », confie la jeune adulte. 

La musique la porte et Anna le lui rend bien. À son tour, elle porte la musique au sein de l’Orchestre du Nouveau Monde. « Nouveau Monde », car il est né après : après le confinement, après les premières réflexions écologiques, après l’éveil de leurs âmes militantes… Il est aussi né grâce à la “génération d’après”, lors d’une rencontre imprévue : « J’étais en manif féministe, et j’entends derrière moi deux jeunes parler d’un groupe de musiciens engagés. Je me rends à une de leurs répétitions, et c’est un coup de cœur », sourit l’étudiante. Six mois plus tard, l’association est fondée avec un premier objectif : établir un pont pour les jeunes entre la fin du conservatoire et l’entrée en orchestre professionnel. Depuis, la jeune directrice artistique est fière d’accueillir de nombreux musiciens, dont le plus âgé n’a que 23 ans : « La plupart du temps, on est une trentaine sur scène. Mais pour certains projets, on fait appel à des amis, d’amis, d’amis… On veut garder cette énergie collective qui nous anime ». 

 Art-activisme : “C’est par l’art que nos combats vont plus loin”

Lorsqu’on lui demande comment elle fait pour jongler entre sa vie étudiante et sa jeune carrière de musicienne, Anna rit nerveusement. C’est simple, elle ne gère pas même si, avoue-t-elle, sa passion pour la musique prend le pas sur ses études d’art. « C’est qu’on a tout le temps envie de créer des projets engagés au sein de l’orchestre, s’excuserait presque la mélomane. On travaille tout le temps, même la nuit. Mais on tente parfois de faire des pauses, promis. »

Mais souffler n’est pas le truc d’Anna. En grandissant dans un foyer engagé et au sein d’une école alternative, tout destinait la Parisienne à monter au front, les armes artistiques à la main. Elle situe son « déclic écologique » à l’âge de raison pour ses 7 ans : la population d’abeilles de son jardin chute drastiquement. À l’école, les stages de botanique consolident son lien au vivant : c’est décidé, elle sera végétarienne. À la vingtaine passée, la désormais végane Anna poursuit son « petit bout de chemin militant ». Si elle se rend toujours en manif, c’est surtout par son art qu’elle s'exprime : « Ce que j’aime, c’est la capacité à émouvoir autant qu'à être un levier d’action. C’est par l’art que nos combats vont plus loin. » 

De la rue à la scène, Anna ne fait qu’un pas. Avec l’Orchestre du Nouveau Monde, elle a composé une version de « Pierre et le Loup », à destination des plus jeunes. Plus tard dans l’année, les musiciens proposeront de nouvelles créations, avec notamment un requiem pour le climat. En attendant, Anna monte sur scène pour une dernière représentation ce samedi 28 janvier à Chatou, dans la même salle où elle a rencontré Camille Etienne, un an plus tôt. Comme une mélodie qui se termine pour mieux en écrire une autre. 

 

 

Perrine Basset © CIDJ
Article mis à jour le 27-01-2023 / créé le 25-01-2023