• Enquête

Les jeunes s’informent-ils encore ?

  • Vie étudiante
Les jeunes s’informent-ils encore en 2023 ?

Deux fois par an, la direction Veille et édition du CIDJ vous propose une analyse rigoureuse d’un signe des temps. Il s’agit toujours d’apporter aux parents comme aux éducateurs et conseillers IJ des éléments d’information rigoureusement sourcés afin de les aider à comprendre comment la jeunesse évolue dans notre société. Cette approche documentaire se veut également le reflet d’une veille de terrain réalisée quotidiennement par le réseau Info Jeunes. Ce 12e numéro d’un « Oeil sur la jeunesse » se penche sur l’épineuse question de l’information. 

Depuis l’avènement du numérique, l’information est devenue accessible par de multiples canaux, morcelée et tellement abondante qu’une « fatigue informationnelle » s’est installée (1). La jeunesse n’est pas épargnée par ce phénomène. Selon leur âge, leur catégorie socio-professionnelle et leurs sujets de prédilection, l’intérêt des jeunes pour l’actualité et la manière de se tenir informé varient. Mais leur grand appétit pour les réseaux sociaux les rendent plus perméables à la mésinformation, scientifique (2) ou non. D’où l’intérêt pour les autorités publiques, politiques et médiatiques de capter la jeunesse sur les applications qu’elle utilise. 

Quelles informations intéressent les jeunes ?

Si l’on note un regain d’intérêt des Français pour l’actualité avec 16 points de plus que l’an dernier (76%), cette hausse est moins flagrante chez les jeunes : 66% des moins de 35 ans s’intéressent à l’actualité. En 2022, c’était le cas de 4 jeunes de 18-24 ans sur 10 (3) . Plus la catégorie socio-professionnelle est élevée, plus l’intérêt pour l’actualité progresse (4). Les sujets sociaux, environnementaux, sociétaux, culturels et internationaux retiennent leur attention, mais 40% d’entre eux se désintéressent de la vie politique française. Pour 83% des adolescents, il est important d’être informé, 26% estiment que cela est même très important (5). Il s’agit pour eux d’être capables de développer leur pensée, d’enrichir leur culture générale et de débattre avec leur entourage. Si près de la moitié des adolescents (47%) s’intéresse d’abord aux informations de divertissement, l’actualité française arrive en 2e position (15%), suivie par le sport (14%).

On observe des différences selon l’âge et le genre : les 15-17 ans se sentent un peu plus concernés par les actualités françaises et internationales, moins par le sport que les plus jeunes. Les filles sont plus sensibles à l’actualité de proximité que les garçons. Quant aux célébrités, elles intéressent autant les deux tranches d’âges. Environ 16% des jeunes ne s’intéressent peu ou pas à l’actualité qui angoisse près de la moitié des moins de 17 ans (36% de leurs aînés). Rien d’étonnant quand on sait que la succession rapide d’informations génère du stress chez la moitié des personnes sondées par la Fondation Jean Jaurès en septembre 2022. Ainsi, à l’image de plus d’1/3 de la population française qui a adopté une démarche d’« évitement sélectif global de l’information » (6), plus de 2 adolescents sur 5 souhaiteraient ne pas pouvoir accéder à l’actualité. Les jeunes, plus attachés à leur santé mentale que leurs aînés, sont plus enclins à vouloir éviter les informations anxiogènes. Mais le peuvent-ils vraiment, eux qui font partie des 66% des moins de 35 ans qui s’informent d’abord par internet ? 

Interêt des jeunes pour l'actualité

Intérêt des jeunes pour les sujets d’actualité en % (Le rapport des jeunes à l’information, enquête Ipsos-Sopra Steria pour Médias en Seine, novembre 2022)

 

Comment les jeunes s’informent-ils ?

Selon l’Insee, 94% des 15-29 ans possédaient un smartphone en 2021 (7). C’est donc tout naturellement par cet outil qu’ils se tiennent informés, tandis que les plus de 35 ans passent majoritairement par la télévision. Si les jeunes continuent de regarder le petit écran, c’est souvent autour de programmes de divertissement (8), même s’il leur arrive également de suivre le journal télévisé avec leurs parents. Pour les moins de 14 ans, la famille est la source principale d’information, devant les réseaux sociaux et la télévision, consultés à parts égales. Cette tendance s’inverse entre 15 et 17 ans, moment où les réseaux sociaux sont les plus utilisés pour s’informer. L’entourage – amis, enseignants – joue également un rôle important pour les adolescents, même si les sites d’infos supplantent les professeurs chez les plus de 15 ans. Il est à noter que les jeunes issus d’un milieu social favorisé sont plus habitués à consulter les médias traditionnels (9)

Réseaux sociaux et médias en ligne sont utilisés quotidiennement pour accéder à l’actualité par 73% des 16-30 ans, même si 63% d’entre eux estiment que les fake news y sont répandues. Or moins d’1 jeune sur 5 se considère tout à fait apte à détecter les fausses informations. Les médias traditionnels restent donc une référence pour obtenir une actualité digne de confiance. Instagram, Youtube, TikTok arrivent néanmoins en tête des sources d’actualité des jeunes. Des informations courtes, rapides à lire et à comprendre... c’est ce qu’attend la jeunesse des sources qu’elle consulte. Les grands médias – mainstream comme pure players – l’ont compris et ont notamment investi TikTok pour y créer ou diffuser des nouvelles : mouvement #BlackLivesMatter, crise du Covid et guerre en Ukraine ont participé à la mue de la plateforme, dont la fonction originelle était uniquement ludique (10).

Les formats vidéo, très appréciés des jeunes, sont ceux qui suscitent le plus d’interactions (partages, avis). Ces vidéos sont souvent réalisées par des influenceurs, qui créent des contenus faciles d’accès et gratuits, tels Squeezie, Michou, Cyprien ou Mcfly et Carlito. Certains d’entre eux se focalisent sur l’actualité et sont devenus des références. Ainsi, en 2015, Hugo Travers a créé sa chaîne Youtube HugoDécrypte qui traite chaque jour de l’actualité dans un format court. Aujourd’hui présent sur Instagram, Twitch et TikTok, par le biais de différentes émissions, il compte bien plus d’abonnés que les autres médias (11). A l’image de Gaspard G avec ses vidéos diffusées sur Youtube autour d’évènements sociétaux, de personnalités culturelles ou de programmes politiques. Présents sur les réseaux sociaux, ces deux influenceurs contribuent à vulgariser l’information politique en offrant un regard et un ton décalés qui plaisent aux jeunes. Brut, Loopsider, Konbini, Neo sont des médias pure players dont les contenus courts, uniquement en vidéos, abordent des sujets sociétaux en lien avec les préoccupations des jeunes (12). Créés à destination des 18-25 ans et s’appuyant sur des témoignages, ces médias sont largement adoptés par les adolescents (13). Les médias traditionnels ne sont pas les seuls à lorgner vers les réseaux sociaux. Personnalités politiques et institutions y voient l’occasion de (re)conquérir une jeunesse qui se méfie d’eux. A condition toutefois de s’adapter aux codes des plateformes. 

Confiance des 16-30 ans dans l'info sur les actualités dans les médias traditionnels

Confiance des 16-30 ans dans les infos sur l’actualité donnée par les médias traditionnels (Le rapport des jeunes à l’information, enquête Ipsos-Sopra Steria pour Médias en Seine, novembre 2022)

 

Quels rôles pour les acteurs publics et médiatiques ?

Actualité, campagnes de sensibilisation, élections, orientation, accès aux droits : les acteurs publics, médiatiques et politiques ont plus d’une raison de capter l’attention de la jeunesse sur les réseaux sociaux. 78% des 16-30 ans jugent qu’un « bon média d’information » doit aborder tous les sujets et 70% d’entre eux qu’il doit fournir analyse et décryptage. 

Mais les jeunes catégorisent l’information entre actualité qui aborde des faits précis et nouvelles s’ouvrant à des points de vue en lien avec leur intérêt personnel ou leurs hobbies. Pour les séduire, il faut donc tenir compte de leurs attentes, différentes en fonction de la source consultée (14). Avec la promotion des gestes barrières par MacFly et Carlito, invités à l’Elysée, et les candidats à la présidentielle interrogés par l’influenceuse Magali Berdah, les politiques ont franchi une étape. Puisque leur présence sur les réseaux sociaux n’atteint pas l’audience souhaitée, ils expérimentent le recours à des personnalités pour toucher les jeunes (15)

Les journalistes professionnels développent leur présence sur les plateformes utilisées par la jeunesse. Avec sa matinale La matinée est tienne, lancée sur Twitch en décembre 2020, Samuel Etienne en est l’un des précurseurs. Il a su adapter l’historique revue de presse aux conventions qui régissent la plateforme et à ses utilisateurs (16). France info a misé sur Marion Mella, connue pour Génération 2022 qui donnait la parole à des jeunes de 18-25 ans issus d’horizons divers durant l’élection présidentielle. La journaliste anime Le Talk, sur Twitch. Durant une heure, elle débat d’un sujet d’actualité avec ses invités, appliquant la devise de la radio « Informer. Expliquer. Décrypter ». 

Les éditeurs de presse, déjà présents sur internet, investissent également les réseaux sociaux. Ainsi, en France, 86% d’entre eux ont adopté TikTok afin d’élargir leur audience, mais aussi pour proposer des informations fiables (17). L’enjeu est de taille à l’heure où seulement 1/3 des jeunes adhère aux vérités scientifiques établies et où 41% des tiktokeurs font un lien entre la popularité d’un influenceur et sa fiabilité. Sachant que le fonctionnement algorithmique des plateformes tend à conforter les internautes dans leurs opinions, la lutte contre la mésinformation devrait être une priorité. C’est pourquoi, les médias professionnels doivent s’emparer des réseaux sociaux, les comprendre et se renouveler pour s’adapter aux publics qui les fréquentent. A l’instar de Radio Canada qui a créé Rad à destination des jeunes communautés des plateformes (18) ou de la RTS qui héberge Tataki, son média numérique « pour et par les jeunes » (19)

Fréquence d’utilisation des réseaux sociaux par les 16-30 ans pour s’informer sur l’actualité

Fréquence d’utilisation des réseaux sociaux par les 16-30 ans pour s’informer sur l’actualité (Le rapport des jeunes à l’information, enquête Ipsos-Sopra Steria pour Médias en Seine, novembre 2022)

 

Plus largement, quiconque souhaite communiquer efficacement auprès de la jeunesse ne peut faire l’économie d’un investissement réel sur les réseaux sociaux. La jeunesse est tellement connectée qu’elle n’a plus besoin d’aller chercher l’information et pâtit de l’« infobésité ». Les outils fournis par l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et leur exploitation doivent être accrus afin de renforcer l’enseignement critique. Exploiter ces espaces pour transmettre une information objective et de qualité est possible afin d’aller au-delà du simple divertissement et de contrer la diffusion de thèses complotistes.

Prendre de bonnes habitudes
Parmi les nombreux outils existants pour permettre aux jeunes de comprendre le fonctionnement des réseaux et les pièges à éviter, Info jeunes France a créé un cahier d’éducation aux médias et à l’information présenté dans un teaser accessible sur Youtube. Dans le guide élaboré par Eurodesk et Eryica sur la participation des jeunes à l’information jeunesse, le chapitre « Creating Youth Information with Young People » mise sur la transmission de pairs à pairs. Des jeunes sont formés aux règles favorisant la transparence des contenus, quel que soit le support : articles, vidéos, podcast. Ainsi, le Crij Occitanie a initié Top ton pro, une série d’émissions animées sur sa chaîne Twitch par des jeunes qui rencontrent des professionnels et les interrogent sur leur métier.
Repérer pour aider
La fondation JAE et le CIDJ sont partenaires de Catch’up, l’un des dix projets retenus par le Haut commissariat aux compétences dans le cadre de son appel à projet « maraudes numériques ». L’objectif est de repérer, sur les réseaux sociaux, les jeunes en situation de décrochage puis de les orienter vers un professionnel de proximité. Initié par la Cnaf, le dispositif des Promeneurs du net continue quant à lui sa présence éducative sur la toile pour prodiguer écoute, prévention, sensibilisation et accompagnement. Afin d’affiner sa connaissance des jeunes, Info jeunes France a commandé un baromètre des pratiques d'information des jeunes à l'institut Gece.
Toutes les sources de cet article
1. Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l'information, étude ObSoCo-Fondation Jean- Jaurès-Arte, août 2022.
2. Génération TikTok, génération « toctoc » ?. Enquête sur la mésinformation des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal à l’heure des réseaux sociaux, étude Ifop pour les fondations Reboot et Jean Jaurès, novembre 2022.
3. Baromètres 2022 et 2023 de la confiance des Français dans les médias, étude Kantar Public Onepoint pour La Croix, janvier 2022, janvier 2023.
4. Le rapport des jeunes à l’information, enquête Ipsos- Sopra Steria pour Médias en Seine, novembre 2022.
5. Les adolescents et l’info, Marine Slavitch, La Revue des médias, Ina, 31 août 2022.
6. L’évitement délibéré des informations, tendance média clé en 2022, Observatoire régional de santé, mars 2022.
7. 94 % des 15-29 ans ont un smartphone en 2021, Insee Focus n°259, 24 janvier 2022.
8. Le divertissement à la télévision : les jeunes au rendez-vous, Laure Osmanian Molinero, Médiamétrie, 13 juillet 2022.
9. Les réseaux sociaux, un chaos informationnel pour les ados, Marine Slavitch, La Revue des médias, Ina, 3 mars 2022.
10. Digital News Project. How Publishers are Learning to Create and Distribute News on TikTok, Nic Newman, Reuters Institute-University of Oxford, décembre 2022.
11. De YouTube à TikTok, HugoDécrypte donne un coup de jeune à l'actualité politique, Les Echos start, 23 mars 2022..
12. Twitter, Snapchat, TikTok, Brut... une nouvelle façon de s’informer pour les jeunes, Elodie Gentina, The Conversation, 10 novembre 2021.
13. La publicité numérique et les réseaux sociaux. Comment s’informent les adolescents ?, Media Smart, 13 septembre 2022.
14. Une jeunesse éclectique pour un rapport à l’information fragmenté, Eric Scherer, Méta-Media France TV, 17 septembre 2022.
15. Quand les influenceurs entrent en campagne, Marion Waller, La grande conversation 2022, Terra Nova, 15 mars 2022.
16. Samuel Étienne sur Twitch : « ma matinale, un truc de vieux pour les jeunes », Vincent Carlino et Marie Rumignani, Méta-Media France TV, 14 janvier 2021.
17. Les jeunes se tournent vers TikTok pour consulter l’actualité, Valentin Cimino, Siècle digital, 12 décembre 2022.
18. Le Rad, le laboratoire de journalisme de Radio Canada, expérimente des formats pour les jeunes, Laure Delmoly, Méta-Media France TV, 27 septembre 2019..
19. Tataki: la RTS tisse des liens avec les jeunes, Romand·es, Zineb Baaziz, SSR Suisse romande, 2 août 2022.

 

Fatmata Camara © CIDJ
Article mis à jour le 17-02-2023 / créé le 17-02-2023