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Nil Bosca : « À 17 ans, je me posais un tas de questions existentielles auxquelles l’école n’apportait aucune réponse »
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Dans sa pièce « Euphrate », Nil Bosca se replonge dans son année de terminale. À 17 ans, la jeune Franco-Turque ne rentrait pas dans le moule du système scolaire et se sentait incapable de choisir un futur métier. Dix-huit ans plus tard, du 6 au 18 novembre 2023, la comédienne revient sur ce moment charnière au théâtre de la Cité internationale à Paris.
Nil, c’est le nom d’un fleuve. Nil, c’est aussi le nom d’une comédienne de 35 ans. Et comme ce fleuve, la Franco-Turque a traversé les années, de ses 17 ans à l’âge adulte, à la quête de son avenir professionnel et surtout d’elle-même. En découle une pièce, intitulée « Euphrate », qui mêle histoire personnelle et fiction.
Comment définissez-vous le personnage d’Euphrate vis-à-vis de Nil ?
Je dirais qu’Euphrate est une sorte de double, mais elle n’est pas vraiment moi. Lorsque j’ai commencé à imaginer la pièce, j’avais l'idée de raconter l’histoire de la traversée d’une jeune fille, de son adolescence à l'âge adulte. Pendant longtemps, je ne souhaitais pas raconter ma propre histoire, j’avais encore trop de pudeur pour réellement accepter de parler de moi, et de me dévoiler ainsi. Mes amis, à qui je faisais lire le texte, m’ont rapidement dit : « il faut que tu lâches cette idée. Euphrate, c’est aussi toi ! ». Et à partir de là, j’ai pu donner vie à cet alter ego. J’ai compris que je pouvais apprivoiser des éléments de ma biographie, tout en créant une fiction autour. Nil est devenue Euphrate, mon nom de famille Bosca, est devenu Tosca… En fait, tout est vrai et tout est faux !
Avec ce spectacle, vous vous replongez dans vos années lycée. Quelle élève étiez-vous ?
J’étais assez… agitée. Et vive d’esprit. C’est un point commun que je partage avec Euphrate. J’étais de bonne volonté, mais je rencontrais beaucoup de difficultés à me concentrer et à entrer dans le cadre rigide du système scolaire. C’était compliqué de rester toute la journée assise à écouter. J’aspirais à autre chose. J’aurais pu quitter l’école et tracer ma route, mais à cet âge-là, on subit beaucoup de pressions : avoir de bonnes notes, valider un diplôme... Ces injonctions venaient de l’école comme de mes parents. Et j’avais assez peur d’être étouffée par tout ça.
Pour trouver son orientation, Euphrate interroge son père, sa conseillère d’orientation et même Siri, la commande vocale de son téléphone. Vous aviez l’impression de ne pas être assez comprise par les adultes à cette époque ?
Je me posais un tas de questions existentielles auxquelles l’école n’apportait aucune réponse. Je l'évoque dans la pièce, lorsque je me demande : « Pourquoi on n’apprend pas à vivre à l’école ? ». J’avais l’impression que les cours abordaient des notions théoriques, mais rien qui ne touche aux émotions ou aux choses moins rationnelles que 1+1=2... J’avais besoin de sens. Comme je ne savais pas ce que je souhaitais faire plus tard, je me suis dirigée vers la filière scientifique. À l’époque, on disait que c’était la seule voie qui permettait d’ouvrir toutes les portes. Ce n’était pourtant pas ce qui me correspondait.
Malgré le désir de votre père, vous n’êtes devenue ni médecin, ni avocate, ni psychologue, mais comédienne. Comment vos proches ont réagi ?
Ma famille s’est montrée compréhensive même si, au départ, ils ne comprenaient pas ce choix. Pourquoi, en ayant obtenu un diplôme de psychologue et après huit années d’études, je souhaitais d’un coup tout arrêter ? Pour eux, c’était impensable. Mais, à 25 ans, j’avais l’intuition que je n’étais pas à ma place. Je n’avais pas de passion et cela me manquait autant que cela me contrariait. Pendant les études de psycho, à l’approche des concours ou des oraux de fin d’année, je me pétrifiais et perdais tous mes moyens. Je ne me reconnaissais plus. J’ai décidé de m’inscrire à un cours de théâtre et ça a été une révélation. Si j’étais toujours angoissée à l’idée de monter sur scène, le théâtre m’a apporté une intensité, une incarnation que je cherchais depuis le début.
Une figure, Afife Jale, a guidé Euphrate dans sa quête d’identité. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?
Afife Jale est connue comme étant la première femme musulmane à devenir actrice. Pour moi, c’est avant tout une femme émancipée, inspirante, affranchie des codes et qui est devenue une source d’espoir pour beaucoup d’autres. Dans la pièce, Euphrate la découvre à travers un portrait dans un musée en Turquie. Mais ce n’est que des années plus tard, lorsqu’elle va devenir comédienne, qu’elle va comprendre l’importance de ce modèle sur son propre parcours. À travers elle, je souhaitais transmettre un message de solidarité entre les générations : Afife, qui vivait dans les années 1900, peut éclairer le parcours d’Euphrate aujourd’hui.
Dans la pièce, vous vous comparez à un chameau perdu au milieu d’étalons lancés à toute vitesse dans un hippodrome. Aujourd’hui, quel message aimeriez-vous faire passer à ce chameau ?
Que ce n’est pas si mal, finalement, d’être un chameau ! C’est vrai que ce chameau de 17 ans a longtemps idéalisé les chevaux et il ne se rendait pas compte qu’il possédait une vraie force. Il est certes différent, mais il apporte quelque chose d’essentiel. Cette pièce est aussi une quête de soi et de sa singularité. Au sein du système scolaire, on compare souvent les chevaux et les chameaux, avec des notes par exemple. Pourtant, à l’inverse, il faudrait valoriser nos différences. Tout le monde n’est pas fait pour entrer dans le moule du « bon cheval », et ce n’est pas une mauvaise chose. Le monde se porte mieux ainsi.
Perrine Basset Fériot © CIDJ
Article mis à jour le 13-11-2023
/ créé le 09-11-2023
Crédit photo : Arthur Hervé-Lenhardt