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L’écriture inclusive : sujet de crispations comme d’incompréhensions

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L’écriture inclusive : sujet de crispations comme d’incompréhensions

Méthode de rédaction visant à rendre la langue plus égalitaire, l’écriture inclusive fait couler beaucoup d’encre. De la double flexion au point médian, de multiples formulations inclusives sont possibles mais pas toujours connues. Ce qui n’empêche pas ses détracteurs comme ses défenseurs de s’affronter pour en restreindre ou en augmenter son usage. 

« L’affaire de l’écriture inclusive est une tempête dans un verre d’eau. Dans six mois, plus personne n’en parlera... ». Six ans après ces propos tenus par l’académicien Alain Rey, le Sénat propose une loi visant à restreindre l’écriture inclusive dans les documents rédigés en français. Sont concernés les modes d’emploi, les contrats de travail, les règlements intérieurs d’entreprises et tous les autres documents relatifs aux examens et concours. Mais de quoi parle-t-on au juste ?

L’écriture inclusive cherche à combler un manque  

Retour en cours de français. La langue française possède deux genres (le masculin et le féminin) et on apprend à l’école que le masculin l’emporte sur le féminin. Contrairement à d’autres langues, comme l’allemand, le français ne comporte pas de neutre et c’est le masculin dit « générique » qui a été retenu pour remplir cet office. L’histoire commence ici : l’écriture inclusive, aussi appelée écriture égalitaire ou non-sexiste, vise à réduire les inégalités de genre dans la langue en rendant justement visibles tous les genres (femmes, hommes, non-binaires...). Le Haut Conseil à l’égalité femme/homme (HCE) la définit comme l’« ensemble des attentions discursives, c’est-à-dire lexicales, syntaxiques et graphiques qui permettent d’assurer une égalité de représentations des individus ». 

L’écriture inclusive ne se limite pas au point médian

À tort, l’écriture inclusive se résume à l’usage du point médian quitte à cristalliser toutes les attentions. Pourtant, il est loin d’être la seule manière de recourir au langage inclusif. Prenons l’exemple des noms de métiers : en utilisant le terme « avocate » pour désigner une professionnelle du droit, tout le monde fait usage de la féminisation des noms de métiers. La double flexion (déclinaison du féminin et du masculin) se retrouve également dans les discours ou les communications politiques, et ce de longue date. Ainsi, au siècle dernier, les discours de Charles de Gaulle commençaient par « Françaises, Français ». Citons également les mots épicènes, ceux qui neutralisent le genre. En parlant de « personnes, de gens, d’élèves, de jeunes », on s’évite d’avoir à en définir le sexe.  

Passons maintenant aux techniques qui font un peu plus grincer des dents les détracteurs de cette forme d’écriture. Rappel important : la primauté du masculin dans la langue française n’a pas toujours été la règle. Ainsi, nos ancêtres pouvaient réaliser un accord de proximité (accorder avec le mot le plus proche dans la phrase) ou de majorité (avec le mot qui exprime le plus grand nombre) et même se laisser la liberté de choisir avec quoi accorder (accord de choix). Mais là encore, aujourd’hui même, nous exploitons, sans doute sans le savoir, ce champ des possibles. Petit test. Accordez et réfléchissez à cette phrase : « La majorité des étudiants … bien réussi ce partiel ». Ici, on retient la majorité a bien réussi ce partiel ou (la majorité) des étudiants ont bien réussi ce partiel ? Les deux s’écrivent. 

Reste la question du point médian (·) utilisé à l’intérieur des mots pour mettre en évidence le fait que l’on parle aussi bien d’hommes que de femmes. Pour le HCE, il présente l’avantage d’être plus court que la double flexion à l’écrit : au lieu d’écrire « Françaises, Français », nous écririons « Français·es ». Une technique plus récente , et là encore sujette à crispations, consiste à créer des néologismes pour neutraliser le genre (iels, celleux, auteurice...).  

L’écriture inclusive fait l’unanimité sur un point : elle divise 

Face à la hausse de l’usage de l’écriture inclusive, le gouvernement a publié des circulaires pour limiter son usage dans les textes officiels (2017) et dans l’enseignement (2021). Le 30 octobre, le Sénat a déposé une proposition de loi allant dans le même sens. Ces trois textes visent essentiellement le point médian et les néologismes. Les détracteurs de l’écriture inclusive relèvent que cette forme d’écriture nuirait à l'apprentissage et à l'intelligibilité de la langue. Déjà difficile à apprendre avec sa grammaire rigoureuse et ses nombreuses exceptions, le français écrit se complexifierait et deviendrait illisible pour les élèves dyslexiques ou présentant un handicap selon la circulaire de l’Éducation nationale de 2021. La commission Culture du Sénat considère quant à elle que l’écriture inclusive relève d’une « démarche militante ». 

D’un autre côté, les défenseurs estiment que ce n’est pas « céder aux airs du temps » que de rendre visibles les différents genres. Avant la création de l’Académie française en 1635, les accords traditionnels (proximité, majorité, choix) étaient usités. De plus, nos représentations du monde restent intimement liées aux mots que nous employons. Une étude en psychologie du langage révèle que le cerveau met plus de temps à comprendre qu’un terme épicène renvoie également au féminin que l’usage d’un point médian. La proposition du Sénat devra être votée par l’Assemblée nationale avant d’être adoptée. Le débat est donc loin d’être clos.  

Restreinte en France, exigée ailleurs Sans existence juridique en France, l’écriture inclusive est exigée dans certains pays. Au Mexique, un décret présidentiel a été publié en 2021 pour exiger son utilisation dans les documents gouvernementaux. Plus proche de la France, la Fédération Wallonie-Bruxelles (communauté francophone de Belgique) a édité un guide présentant les bonnes pratiques de rédaction inclusive. 

Fiona Simoens © CIDJ
Actu mise à jour le 13-11-2023 / créée le 13-11-2023

Crédit photo : CIDJ