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Éco-anxiété chez les jeunes : et si c’était une bonne nouvelle ?

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Éco-anxiété chez les jeunes : et si c’était une bonne nouvelle ?

Canicules et incendies à répétition. Avec l'été, de plus en plus de personnes ressentent de l'éco-anxiété. Et les jeunes ne sont pas épargnés. Près d’un sur deux ressent des angoisses face au changement climatique. Avenir incertain, politiques écologiques peu ambitieuses, sentiment d’impuissance... comment vivre l'éco-anxiété au quotidien ? Et si cet état d'esprit révélait aussi des qualités humaines essentielles ? On vous explique.

Troubles alimentaires, du sommeil, perte de sens, sentiment d’impuissance. Face à l’incertitude de l’avenir écologique de notre planète, de plus en plus de jeunes ressentent ce que l’on appelle de l’éco-anxiété. C’est ce qui ressort d’une étude récente publiée dans la revue The Lancet Planetary Health en septembre 2021. On y explique que « le changement climatique a des implications importantes pour la santé et l'avenir des enfants et des jeunes, mais ils ont peu de pouvoir pour limiter ces dommages, ce qui les rend vulnérables à une anxiété climatique accrue ». 10 000 jeunes de 10 pays, âgés de 16 à 25 ans, ont été interrogés dans cette enquête. Près d’un jeune sur deux se sent triste, anxieux, en colère, impuissant et coupable face au changement climatique. Une inquiétude présente de manière extrême chez près de 60 % des jeunes interrogés.

Mais comment font ces jeunes qui souffrent d’éco-anxiété au quotidien ? Et si, il était possible de vivre cet état d’esprit de manière plus sereine, voire positive ? Eléments de réponses avec deux jeunes éco-anxieux et Jean-Baptiste Desveaux, psychologue clinicien.

Impuissance et culpabilité accompagnent l’éco-anxiété

« Pour moi, l’éco-anxiété se traduit par un sentiment d’impuissance » confie Yasmine, bibliothécaire. « J’ai l’impression que ce ne sont pas des actions individuelles qui vont bouger les choses. Quand j’y pense, ça m’inquiète parce que je ne sais pas ce que je pourrais entreprendre pour changer la donne ». À 32 ans, la jeune femme se sent démunie face à l’avenir climatique. Un sentiment éprouvé pour la première fois il y a quelques années. « Je n’y pensais pas quand j’avais 20 ans, mais je pense que depuis 5 ans c’est beaucoup plus présent ».

Pour Pablo, lycéen en terminale, l’anxiété est venue petit à petit, dès l’adolescence. « J’ai identifié mon éco-anxiété après de grands événements climatiques. J’ai alors compris que ça me touchait personnellement » se souvient le jeune homme. Pour lui, l’éco-anxiété se traduit par la peur de ne plus pouvoir vivre sur la Terre, car trop atteinte.

« Une des spécificités chez les éco-anxieux, c’est que leurs angoisses concernent leur capacité à se projeter dans l’avenir. Ce sont des angoisses dites "adestinales", c’est-à-dire la crainte de ne pas avoir d’avenir, de destin » explique Jean-Baptiste Desveaux, psychologue clinicien.

« L’éco-anxiété donne parfois un sentiment de culpabilité quand on n’est pas soi-même le parfait écolo » explique Pablo. « Parfois on agit contre l’environnement, malgré nous ». Regarder des vidéos sur Internet en haute définition, manger dans un fast food, prendre régulièrement l’avion ou renouveler souvent sa garde-robe. Autant d’actions que l’on peut être amené à faire, mais qui ne sont pas en adéquation avec un idéal écologique. Un sentiment difficile à supporter qui pousse certains jeunes à se priver. Pablo refuse tout voyage en avion et a arrêté de manger de la viande. Yasmine, elle, se demande si elle voudra des enfants plus tard. « Je ne sais pas encore si j’aurais des enfants mais je connais des personnes qui n’en ont pas pour cette raison ».

« La meilleure façon d’arrêter de polluer est d’arrêter de vivre ! » lâche Jean-Baptiste Desveaux d’un ton provocateur. Une manière de rappeler qu’en matière d’écologie, il est important de se déculpabiliser parce que les choses ne se jouent pas seulement à un niveau individuel mais aussi au niveau politique, industriel et économique.

Gérer son éco-anxiété au quotidien : mission impossible ?

Comment vivre au quotidien quand on est éco-anxieux ? Il n’existe pas de recette miracle. Pour autant, il est possible d’en atténuer les effets.

Pour Jean-Baptiste Desveaux, il est important d’être cohérent avec ses valeurs dans ses actions. « On ne peut pas prôner l’écologie et prendre l’avion à la moindre occasion ou rouler en SUV en ville » illustre t-il. Certaines actions du quotidien peuvent vous aider : trier ses déchets, manger bio, se déplacer en vélo, militer… « C’est par ces actions que l’on a le sentiment d’avoir un impact sur le monde. C’est quelque chose de très précieux, parce que cela permet de développer un sentiment d’agentivité [la perception de soi comme acteur du monde, ndlr]. On se sent capable d’agir, ce qui réduit aussi le sentiment d’impuissance » explique le psychologue.

Pour ne pas se sentir passif, Pablo milite dans l’association Youth for Climate depuis 2019. « Le militantisme m’aide parce que je peux exprimer mon éco-anxiété avec d’autres jeunes qui ressentent la même chose que moi ». Yasmine, elle, se méfie des effets que pourrait avoir sur elle le militantisme. « Je pense que je n’aurai jamais l’énergie mentale pour le faire. Ça peut faire du bien à certaines personnes de se sentir utile, d’avoir l’impression de faire la différence en militant. Personnellement, j’aurais peur que cela me fatigue moralement en me mettant constamment face à ce qui ne va pas ».

Toutes ces actions du quotidien peuvent vous faire du bien un temps, mais elles ne feront pas disparaître à coup sûr les angoisses que vous pouvez ressentir. « Sans être fataliste, on se doit d’être réaliste et lucide sur la situation écologique » conseille Jean-Baptiste Desveaux. Ces actions restent importantes, mais elles ne régleront pas, à elles seules, le problème du dérèglement climatique. « L’angoisse va rester parce que le fond du problème ne sera pas réglé » prévient-il.

Pour venir à bout de ces angoisses, « il est important de les accueillir et de les accepter plutôt que de vouloir y pallier » conseille Jean-Baptiste Desveaux. Pour y arriver vous pouvez vous faire accompagner d’un psychologue. Partez du principe que vous ne pourrez pas changer l’état du monde mais que vous pouvez « interroger vos angoisses et essayer d’identifier pourquoi l’écologie a autant de résonance chez vous » explique-t-il.

Ressentir de l’éco-anxiété, c’est faire preuve d’humanité

Gérer ses angoisses c’est donc d’abord essayer de les comprendre. Qu’est-ce qu’elles montrent de vous ? Pour Jean-Baptiste Desveaux, « elles sont des indicateurs de notre capacité à nous soucier de l’environnement ».

Le terme « angoisse » renvoie à la notion de maladie. Or, « on peut se soucier de ses proches, par exemple, sans être angoissé pour eux » explique Jean-Baptiste Desveaux. « C’est important d’avoir de la préoccupation pour l’autre parce que c’est la capacité à développer de l’empathie ».

En matière d’environnement, ce sont les mêmes mécanismes. L’éco-anxiété désignerait en réalité une forte empathie vis-à-vis de l’éco-système, qui expliquerait que vous vous sentez fortement touché ou ému lors de marées noires ou lorsqu’une forêt brûle par exemple. « Finalement, quelque chose de profondément humain se loge dans l’éco-anxiété qui, tout d’un coup, se révèle être une vertu » rassure le psychologue. 

« On pourrait alors parler d’éco-préoccupation ou d’éco-sensibilité et non plus d’éco-anxiété » suggère-t-il. Ce phénomène ne serait alors plus perçu comme une pathologie, un symptôme à éradiquer, mais comme une qualité à préserver.

Marine Ilario © CIDJ
Article mis à jour le 01-08-2022 / créé le 01-12-2021