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Défis sur Internet : attention jeux dangereux !

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Un jeune homme regarde un écran d'ordinateur.

Connaissez-vous le « jeu du déodorant » ? Il fait le buzz sur Internet. Après les États-Unis, il se développe actuellement en Europe. Il consiste à se pulvériser du déodorant sur la peau le plus longtemps possible. Les conséquences : de graves brûlures qui peuvent nécessiter des greffes. Condom challenge, neknomination, happy slapping, blue whale challenge,... On ne compte plus les défis sur Internet. D’où viennent-ils ? Quels rapports de pouvoir se jouent à travers eux ? Comment réagir ? Les explications de Grégory Michel, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique, spécialiste des défis sur Internet.

Jeu du foulard, neknomination, mort subite, train surfing, happy slapping, blue-whale challenge, condom snorting…. On ne compte plus les jeux dangereux pratiqués dans les écoles, les collèges ou à la maison. Actuellement, c’est le jeu du déodorant qui inquiète. Après les Etats-Unis, il s’installe en Europe. Le principe : tester sa résistance à la douleur en se pulvérisant du déodorant le plus longtemps possible sur la peau. La semaine dernière, une mère anglaise a posté une photo des méfaits de ce défi sur le bras de sa fille de 10 ans, indiquant qu’une greffe de la peau n’est pas à exclure.

Si les défis et jeux dangereux existent depuis des décennies, ils ont pris un essor considérable avec Internet et les réseaux sociaux. On profite de la vitrine qu’offre le web pour se filmer, montrer de quoi on est capable et impressionner ses pairs. 

Mais les conséquences de ces jeux peuvent être dramatiques : sentiment de culpabilité, humiliation, séquelles physiques ou neurologiques irréversibles, décès… Les défis feraient une quinzaine de victimes en France chaque année. 

Professeur de psychopathologie et de psychologie clinique, Grégory Michel est auteur de l’ouvrage "la prise de risque à l'adolescence" (éditions Masson). Spécialiste des jeux dangereux, il est également psychologue au Pôle Santé de Saint-Genès à Bordeaux où il accompagne des adolescents. Interview.  

Quels jeux existent actuellement ? Grégory Michel.

« Il y a 3 catégories de jeux : les jeux de non-oxygénation, les jeux de défis et les jeux d’agression. 

 Les jeux de non oxygénation (jeu du foulard, jeu de la tomate, jeu du sac…) conduisent à une privation d’oxygéne au cerveau jusqu’à l’évanouissement. Ces jeux se pratiquent généralement en groupe. Certains essayent à la maison. C’est souvent là que les accidents surviennent.

Les jeux de défis s’appuient sur le principe du « cap’ ou pas cap’ ? ». Il s’agit souvent de jeux avec un enjeu physique comme le snow challenge qui consiste à se jeter dans la neige en maillot de bain ou le train surfing (surfer sur le toit d’un train). Certains défis impliquent l’usage de produits : alcool, bombe aérosol, lessive…

Dans les jeux d’agression, un groupe de personnes désignent une victime et l’attaquent. C’est le cas du petit pont massacreur ou du happy slapping qui consiste à filmer une scène de violence et à la diffuser sur internet. Ces types de jeux peuvent être en lien avec du harcèlement.

D’où viennent ces jeux ?

Les jeux de défis et les jeux dangereux existent depuis plusieurs décennies (les premiers cas recensés remontent aux années 1950) mais ils ont pris un essor considérable avec Internet et les réseaux sociaux car ils permettent de se prendre en photo, de se filmer et offrent une diffusion très large. Il y a aujourd’hui une multitude de jeux. Les jeunes redoublent de créativité et d’imagination pour inventer de nouveaux jeux. Ces pratiques mêlent souvent le ludique et le violent : il y a un lien étroit entre créativité et destructivité, la forme paroxystique étant le blue whale challenge qui incite les participants à réaliser des épreuves de plus en plus dures, jusqu’au suicide.

Quels rapports de pouvoir se jouent dans ces jeux ?

A l’origine de ces jeux, en particulier les jeux d’agression, il y a souvent un meneur qui a tendance à instrumentaliser la violence. C’est généralement une personnalité narcissique et charismatique qui peut avoir des troubles psychopathologiques (comportements transgressifs, antisociaux). Il a souvent des problèmes de violence avec l’autorité, ses parents, les professeurs. Il se positionne en tant que leader et use de charme et de manipulation pour convaincre les autres de le suivre. Ces derniers ont des personnalités plus suggestives et ne se rendent pas compte des conséquences.

Dans le cas des jeux d’agression, le leader choisit comme victime un enfant timide qui ne se défend pas ou un jeune qui attise la jalousie (qui a de bons résultats scolaires, du succès avec les filles...). Les victimes éprouvent souvent un sentiment de honte et de culpabilité : elles ne comprennent pas pourquoi les copains ont pu devenir agresseurs et se demandent si elles méritent ce qu’elles ont subi. Du coup, elles n’en parlent pas.

Pourquoi participe-t-on à des jeux dangereux ?

Ceux qui acceptent de relever des défis le font pour appartenir au groupe. L’influence des pairs est déterminante. Les plus jeunes le font plutôt par inconscience du danger, les adolescents par besoin de valorisation, pour montrer leurs compétences.
Les prises de risques sont caractéristiques de l’adolescence : pour exister, il faut être soit dans l’avoir, soit dans le faire. Il faut réaliser des exploits pour surprendre l’autre.
Mais le problème, c’est que ces jeux peuvent avoir des conséquences dramatiques. Il y a une logique de surenchère : certains jeux sont extrêmement dangereux comme le train surfing qui a fait plusieurs victimes sur le métro parisien ces derniers mois. 

Comment réagir face à un défi ?

Je dirais à un jeune : « tu dois être conscient qu’en participant à un défi, tu es instrumentalisé et que tu te mets dans une situation de vulnérabilité. Participer à un défi n’est pas anodin. Les conséquences peuvent être catastrophiques. Après un binge drinking (« biture expresse »), des jeunes prennent le volant et se tuent, des filles se font violer, des gens se noient dans la Garonne…
On peut tout autant impressionner ses pairs en refusant de participer au jeu ou en le détournant, comme l’a fait ce Bordelais qui au lieu de boire une bouteille d’alcool, a choisi d’offrir des hamburgers à des SDF. En faisant preuve de créativité, il a détourné un jeu destructeur pour en faire quelque chose d’utile, salué par tous. 

Comment agir si l’on est témoin ?

A celui ou celle qui est témoin d’un défi ou d’un jeu dangereux, je dis : « maintenant que tu es conscient du danger, tu as une responsabilité à jouer. Si tu vois quelqu’un prendre des risques ou mettre en danger une personne, tu dois en parler : à l’infirmière scolaire, au conseiller principal d'éducation ou aux parents qui feront remonter l’information. Si tu n’agis pas et qu’il se passe un drame, tu auras le poids de la culpabilité. Le dire, ce n’est pas être une balance ; c’est aider une personne fragile à s’en sortir. C’est sauver une vie. Et en faisant cela, c’est toi qui deviendra un super héros ! »

Ce que dit la loi

Le ministère de l’Intérieur rappelle les peines encourus lors de certains jeux. En ce qui concerne le happy slapping, il s’agit d’un « acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne » et le fait de filmer est autant répréhensible que le fait de commettre les violences elles-mêmes. En fonction des préjudices, dommages et blessures subies par la victime, la peine va de 750 euros d’amende à 30 ans de prison en cas de décès de la personne agressée. Le ministère rappelle par ailleurs que « le fait de diffuser la vidéo d'une agression violente est une infraction dont l'auteur peut être condamné à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. »
Dans le cas du blue whale challenge, le « tuteur » risque une condamnation pour incitation au suicide, un délit puni de 3 à 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros à 75 000 euros d’amende.

En parler 

Il existe la ligne Net écoute destinée aux enfants et adolescents confrontés à des problèmes dans leurs utilisations d’Internet (en matière de paramétrage, d’usurpation d’identité, d’utilisation de données personnelles, de cyber-harcèlement…). La ligne est accessible gratuitement du lundi au vendredi de 9h à 18h au 0800 200 000.
Des psychologues peuvent par ailleurs être consultés gratuitement dans les établissements scolaires, les Espaces santé jeunes, les Points accueil écoutes jeunes (PAEJ), les Maisons des adolescents…

 

Isabelle Fagotat © CIDJ
Article mis à jour le 16/08/2018 / créé le 30-04-2018