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Syndrome de l’imposteur : Qui sont ces étudiants et jeunes actifs qui doutent de leurs compétences ?

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Jeune homme dans un champ

Avoir peur ne pas être à la hauteur pour son alternance, être persuadé d'avoir réussi ses examens grâce à la chance, avoir l'impression de ne pas mériter ce nouveau job et craindre que tout le monde finisse par s’en apercevoir… Quand la modestie devient excessive on parle du « syndrome de l’imposteur ». Un malaise qui peut se manifester à des grandes étapes de transition, notamment l’entrée dans les études supérieures ou un premier emploi. Enquête.

"Je m’attends à recevoir un courrier me disant que c’est une erreur" commence Lina*, 33 ans, qui vient d’être admise à l’agrégation d’anglais, un concours sélectif et exigeant de l’enseignement public. "Le jour de la publication en ligne des résultats, en voyant mon nom sur la liste des admis, j’ai même fait une capture d’écran que je retourne voir de temps en temps quand j’ai un doute" avoue celle qui a encore du mal à y croire "Je ne sais pas pourquoi, ni comment je l’ai eu" s’interroge-t-elle "si je repassais le concours, je suis sûre que je ne l’aurai pas. Il y a un gros facteur chance". 

Du permis de conduire aux examens universitaires, Lina s’étonne de chacune de ses réussites. "Déjà au lycée je sortais toujours d’un contrôle avec l’impression de m’être plantée, finalement j’avais des bonnes notes, ça agaçait mes amies qui pensaient que c’était de la fausse modestie, alors que j'étais sincère" se souvient-elle.

Depuis, Lina a fait du chemin : bac avec mention, classe prépa khâgne-hypôkhagne, master universitaire, réussite du concours d’enseignant puis de l’agrégation… Malgré un parcours sans faute, les doutes persistent. "Plus la formation est sélective, prestigieuse et que des concurrents sont éliminés, plus vous pouvez être exposé au sentiment d’imposteur" constate Denis Bochereau, psychiatre et directeur médical adjoint du bureau d’aide psychologique universitaire (BAPU) Claude Bernard à Paris. Selon lui, "le syndrome de l’imposteur ressemble à la culpabilité du survivant. Il y a une culpabilité à faire partie des élus, là où d’autres qui nous paraissaient meilleurs, ou tout aussi bons, ont échoué".

Le syndrome de l'imposteur n'est pas une maladie

Un sentiment assez fréquent et partagé par de nombreuses personnes, bien qu’à des degrés différents. "On estime que 70% des personnes seraient amenées à douter un jour de leurs compétences" explique Kevin Chassangre, psychologue et docteur en psychopathologie, précisant qu'il n’existe pas d’études épidémiologiques mais que seule une minorité pourrait véritablement être concernée par le syndrome de l’imposteur.

"Les femmes y sont peut-être plus sensibles du fait des stéréotypes sociaux, mais le syndrome de l’imposteur touche également les hommes" précise le psychologue qui a consacré une thèse au sujet et co-écrit l'ouvrage Cessez de vous déprécier ! Se libérer du syndrome de l’imposteur.

Mais ce que l’on qualifie de « syndrome » et dont la presse consacre de nombreux articles, n’est en réalité pas une maladie. "Il n’a jamais été reconnu comme une pathologie psychiatrique" corrige Denis Bochereau, psychiatre, qui ne remet toutefois pas en cause son existence "Il correspond, malgré des réussites objectives, au sentiment de ne pas être légitime et d’usurper sa place" explique le psychiatre "ajouté à la crainte d’être démasqué" poursuit-il.

Penser réussir grâce à la chance ou au hasard

Un sentiment qui peut intervenir à "des grandes étapes de transition de la vie, comme l’entrée au lycée ou à en études supérieures, un premier emploi, une promotion ou un changement de poste" remarque Kevin Chassangre, psychologue.

Selon lui, "les personnes atteintes du syndrome de l’imposteur ont l’impression d’être surestimées et ont tendance à attribuer leurs réussites à des facteurs externes comme la chance, les relations ou le fruit du hasard, plutôt qu’à leurs propres compétences".

Si Lina ne se considère pas comme atteinte du syndrome de l’imposteur, elle reconnait manquer de confiance en elle. "Au travail, si on me demandait d’encadrer des stagiaires, ça m’embêterait. Certains collègues sont prêts dès leur deuxième année d’exercice, moi j’ai encore l’impression de bidouiller et ne me sens pas légitime à être érigée en exemple" reconnaît celle qui exerce pourtant le métier d’enseignante depuis presque dix ans.

Bosser à fond ou au contraire, tout faire à la dernière minute

Quelques années plus tôt quand Lina, encouragée par ses professeurs de terminale, s’inscrit en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), elle est tout de suite impressionnée par le niveau de certains élèves de sa classe prépa. Persuadée qu’elle n’a pas le niveau, elle nous confie avoir passée ces deux années "en mode touriste". "Quand quelque chose me paraît trop difficile, je n’essaie même pas" reconnaît-elle.

"Il y a un phénomène de plafond de verre interne remarque Denis Bochereau, psychiatre. Certains se privent de se présenter à un concours ou se mettent dans des conditions où ils vont échouer. Ils s’infériorisent tellement qu’ils s’auto-sabotent".

Kevin Chassangre, psychologue, remarque de son côté que "deux stratégies de travail vont souvent être adoptées, la procrastination, qui consiste à remettre tout au lendemain, ou le travail frénétique, qui vont dans les deux cas alimenter leur sentiment d’imposture en situation de réussite. Dans le premier cas, elles vont se dire qu’elles y sont arrivées parcequ’elles ont eu de la chance, dans le deuxième, que pour réussir elles sont obligées d’en faire autant parce qu’elles n’ont pas les compétences".

Quand la réussite fait peur

"On remarque chez ces personnes qu'il n’y a pas d’harmonie entre le jugement qu’elles ont d’elles-mêmes et leurs véritables compétences. Elles ont plus besoin que les autres de confrontations externes pour juger de leur mérite et estimer leur valeur" analyse Denis Bochereau, qui reçoit gratuitement des étudiants en consultation psychologique.

Incapable de s’attribuer leurs propres réussites et d’en tirer la moindre fierté, certains vont même jusqu’à préférer éviter le succès. "Certaines personnes vont associer réussite et état anxieux souligne Kevin Chassangre, psychologue. D'autres peuvent penser qu’une réussite les obligeraient à devoir en faire davantage et craignent de ne pas être à la hauteur."

"Il peut aussi y avoir dans la réussite l’impression de trahir son milieu d’origine, sa famille ou ses pairs" ajoute Denis Bochereau, psychiatre.

A petite dose, douter permet d’être plus consciencieux

Avant de passer les oraux de l’agrégation, Lina s’était fait une montagne du niveau des autres candidats. "En discutant avec eux, j’ai réalisé que c’était des gens comme moi et ça m’a tout d’un coup redonné confiance". Kevin Chassangre remarque que les personnes seules dans leur domaine d’expertise, peu en contact avec leurs paires, vont davantage avoir tendance à éprouver un sentiment d’imposture. "Ce sont aussi souvent des personnes qui ont l’impression que l’on attend beaucoup plus d’elles, que ce n’est le cas" analyse-t-il.

A petite dose, douter peut être positif. "C’est plutôt sain et constructif de s’interroger sur ses capacités" affirme Denis Bochereau, psychiatre au BAPU.  "Tout le monde ne le vit pas mal, au contraire, douter peut favoriser l’investissement, cela permet d’être plus consciencieux et de conserver une certaine humilité" poursuit Kevin Chassangre, psychologue. "En revanche, il devient problématique quand il forme une boucle anxieuse qu'il dure dans le temps et paradoxalement s’auto-alimente avec les réussites" nuance-t-il.

Se débarrasser du syndrome de l’imposteur

"Quand le sentiment de doute devient vraiment handicapant et qu'il entrave le bien-être quotidien ou mène à des symptômes anxieux ou dépressifs, certains ressentent le besoin de consulter. S’il y a par exemple inhibition, accès de panique ou quand il y a un retentissement sur le sommeil, l’alimentation, la qualité de la relation à ses amis" détaille Denis Bochereau, psychiatre.

"En consultation, on va faire un travail de relativisation pour prendre conscience des moments où la personne est trop dure avec elle-même. On va essayer de comprendre ce qui a pu constituer petit à petit ce sentiment de culpabilité par rapport à une réussite" explique le psychiatre."Le syndrome de l’imposteur est souvent lié à un sentiment d’infériorité cristallisé depuis l’enfance et qui va ressurgir plus tard" ajoute-t-il.

Pour faire taire cette petite voix, le temps peut aussi faire son travail. "La jeune génération a tendance à être plus touchée remarque Kévin Chassangre En vieillissant, on a tendance à avoir un regard plus objectif sur soi-même, et à adopter un point de vue plus rationnel" rassure le psychologue.

 

*Le prénom a été modifié

Laura El Feky © CIDJ
Article mis à jour le 02-10-2018 / créé le 01-10-2018