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Etudier en prison : une bulle d’oxygène pour les détenus

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Etudier en prison : une bulle d’oxygène pour les détenus

Préparer le CFG, un CAP, le DAEU ou poursuivre des études supérieures. En prison aussi, il est possible de se former. Un moment presque hors du temps, où les détenus renouent avec les autres et combattent leur solitude.

« En donnant mon premier cours, j’avais l’impression d’être une fenêtre et qu’à travers moi, les détenus voyaient l’extérieur » se souvient Karine Marot, lors de son premier cours en prison. Professeure de géographie à l’université de Gustave Eiffel, elle donne, depuis quelques années, des cours à la prison de Fleury Mérogis. En détention, il est en effet possible de reprendre ou poursuivre ses études. Des étudiants hors normes aux profils très variés. « L’âge de nos étudiants varie de 18 à 50 ans » relève Karine Marot. Même si, au fil des années, « nous avons beaucoup de profils qui ont entre 18 et 20 ans. Sur 10 entrants, la moitié sont des jeunes majeurs » constate Emeline Bonin, responsable locale de l’enseignement au centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône.

Pour les majeurs, les cours peuvent être suivis sur la base du volontariat. Mais dans les établissements pour mineurs (EPM) les cours sont obligatoires.

En prison : des études avant et post-bac

Du certificat de formation générale (CFG) au master, de nombreux diplômes peuvent être préparés en prison. Au centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône, les formations sont tout aussi larges : cours de français pour les détenus non francophones, CFG, CAP ou encore DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires). « On scolarise à peu près 600 personnes par an » explique Emeline Bonin, responsable locale de l’enseignement. « Il y a un grand turn-over des détenus, toute l’année, entre ceux qui sont libérés, ceux qui sont transférés et ceux qui ne restent que quelques mois. Ils valident des blocs de compétences qui, mis bout à bout, amènent à un diplôme ».

Dans les établissements pour mineurs, les détenus ont majoritairement entre 15 et 18 ans et sont souvent déscolarisés. « Quand ils arrivent en détention, ils ont un entretien qui retrace leur parcours scolaire. Ils passent aussi des tests et on discute avec eux de leur projet : passer un diplôme, travailler, reprendre des compétences de bases… Ça permet de les inscrire dans un groupe scolaire qui correspond à la fois à leur niveau et à leur projet » détaille Cécile Perret, professeure de lettres et d’histoire-géographie à l’EPM du Rhône.

A Fleury Mérogis, l’université Gustave Eiffel propose de suivre deux parcours de licences en présentiel : une licence d’histoire et une licence de sociologie. « Pour suivre les cours, les détenus doivent avoir au moins le bac ou le DAEU » explique Karine Marot. Mais il est aussi possible d'étudier d’autres domaines avec l’enseignement à distance.

Des cours en présentiel ou à distance

Quelques établissements proposent des cours en présentiel. C’est le cas de l’université Gustave Eiffel dont certains professeurs se déplacent jusqu’à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis. « Le présentiel apporte quelque chose en plus. Dans l’interaction humaine, il y a quelque chose qui passe qui n’existe plus avec la distance, même en visio » explique Karine Marot. « J’ai connu un détenu qui a fait une L1 et L2 avec nous, puis il est parti dans un autre centre pénitentiaire où il n’y avait pas de cours en présentiel. Il a quand même suivi une L3, mais il m’a écrit que le distanciel avait été très dur pour lui » se souvient la professeure.

En détention, il est aussi possible de suivre des cours via l’enseignement à distance. Mais cela demande une grande motivation de la part des détenus qui se retrouvent seuls face à leur cours. Les cours en présentiel ne sont pas souvent proposés dans les prisons. Le manque d’enseignants ne permet pas d’instaurer des cours en présentiel partout. « Il faut aussi qu’il y ait suffisamment de personnes motivées pour ce travail. La moitié de mes collègues n’ont pas du tout envie de mettre les pieds en prison » déplore Karine Marot.

En prison, les bienfaits de la scolarisation

Les cours dispensés en prison s’avèrent être un moment important pour les détenus, isolés dans leur cellule. Une solitude particulièrement présente en EPM où ils disposent de cellules individuelles. Pour Cécile Perret, « les cours, c’est l’occasion d’être avec les autres. C’est une dimension de socialisation qui est très importante, surtout à leur âge. Ils ont un vrai plaisir à se retrouver ».

Pourtant, assister aux cours n’est pas toujours vu d’un bon œil par les détenus, au début tout du moins. En EPM les jeunes ont un passé scolaire et personnel compliqué. Cécile Perret le rappelle. « Une grande partie d'entre eux sont déscolarisés au moment de leur incarcération. Ils ont souvent un parcours scolaire chaotique : exclusion dès la 6e, changement de collège, déscolarisation avant le brevet… Donc quand on leur dit que, non seulement ils vont être incarcérés, mais qu’en plus ils vont devoir suivre des cours, ce n’est pas toujours évident à accepter ».

En centre de détention, « ils commencent par venir en cours parce que cela leur permet de bénéficier de remises de peine » concède Emeline Bonin. « Mais ensuite, on a des détenus qui s’investissent vraiment dans les cours ». Le travail en groupe créé une émulation qui incite ceux qui y participent à se remettre dans les études. « A Villefranche, nous avons deux détenus de 21 ans qui étaient déscolarisés et qui, aujourd’hui, s’investissent pour préparer le DAEU » explique la responsable locale de l’enseignement.

« Même si nous avons des niveaux disparates dans nos groupes, on voit qu’ils s’entraident beaucoup et ceux qui ont un niveau plus faible se prennent au jeu » remarque Karine Marot. « Quand on leur demande de rendre des devoirs, je vois qu’ils y consacrent beaucoup d’énergie, bien plus que la moyenne des étudiants de L1. Ils sont très demandeurs, il leur en faut toujours plus ».

Pour répondre à cette demande, une expérimentation est menée depuis un an au sein du centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône pour que des ordinateurs portables soient prêtés aux détenus afin qu’ils aient accès aux ressources pédagogiques pour préparer le DAEU jusque dans leur cellule. Une expérimentation qui vient d’être étendue à l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Lexique

EPM : établissement pour mineur
CFG : certificat de formation générale
CAP : certificat d'aptitude professionnelle
DAEU : diplôme d'accès aux études universitaires

Marine Ilario © CIDJ
Article mis à jour le 09-02-2022 / créé le 08-02-2022