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Cohabitation avec un senior, colocation avec des personnes sans domicile fixe, colocation solidaire dans les quartiers de la politique de la ville… Et si se loger rimait avec solidarité ? Des dispositifs permettent aux moins de 30 ans d'accéder à un logement moins coûteux en échange d’actions de solidarité et à condition d'adhérer à cette forme d’engagement.

« Quand j’ai appris l’existence des cohabitations intergénérationnelles avec Le Pari solidaire, j’ai adhéré au concept qui me permettait d’être présente pour une personne âgée et de me loger à Paris dans le cadre de mon stage », se souvient Inès, en 2e année de master dans une université du Grand-Est. Sans ce dispositif, pas d'accès à la capitale. Chaque année, nombre d'étudiants ou de jeunes diplômés se heurtent aux difficultés du marché du logement. Particulièrement dans les grandes villes où les loyers grimpent très vite. Tous ne bénéficient pas d'un logement social du Crous. Et beaucoup doivent changer de région pour poursuivre leurs études, effectuer un stage ou une formation en alternance.

Depuis le début des années 2000, ces difficultés font écho à d’autres problématiques sociétales : l’isolement des personnes âgées, la revitalisation des quartiers de la politique de la ville, la réinsertion des personnes sans domicile fixe. En réponse, plusieurs initiatives émergent, proposant des dispositifs de logements solidaires accessibles en colocation ou en cohabitation pour les jeunes jusqu’à 30 ans.

Partager son toit et des moments de vie

« Notre objectif est de composer le meilleur binôme possible en fonction des affinités, des attentes et des besoins de chacun », explique Catherine Garnier, chargée de mission à Ensemble2générations. L’association organise depuis 2006 des cohabitations entre des personnes âgées disposant d'au moins une chambre libre et souhaitant rompre leur isolement et des étudiants. Selon les formules, ces derniers logent gratuitement en échange d’une présence notamment le soir ou paient une somme peu élevée en échange d’aide en journée. C’est ce qu’on appelle le logement intergénérationnel. Ce concept attire car il permet de vivre dans un logement plus confortable qu’une simple chambre ou un studio.

« Nous savons que l’aspect financier reste le premier critère qui séduit les jeunes. Mais il ne peut être le seul. Il faut être disponible et faire preuve de maturité », souligne Amélie Gentilini, chargée de projet au Pari Solidaire. L'association parisienne a mis en place des cohabitations intergénérationnelles après les conséquences dramatiques de la canicule de 2003 sur la population âgée. Elle appartient au réseau Cohabilis qui fédère 40 structures en France proposant ce dispositif aux étudiants, stagiaires, jeunes actifs ou en recherche d’emploi. « Le Pari solidaire reçoit 500 à 600 candidatures pour une centaine de cohabitations », indique Amélie Gentilini. La demande est plus élevée que l’offre, surtout dans les grandes villes étudiantes comme Paris.

Afin de s’assurer du sérieux et de la motivation d’un candidat au logement intergénérationnel, un entretien individuel est organisé. « Le fait qu’un jeune s’adresse à nous montre déjà une démarche altruiste », accorde Catherine Garnier. « Nous échangeons avec lui pour s'assurer que ce style de dispositif lui convienne et pour qu’il choisisse la bonne formule en fonction de sa disponibilité. » La distance du lieu d’études ou de travail est aussi considérée. « Des centres d’intérêts communs avec la personne âgée constituent un plus », ajoute Amélie Gentilini. La candidature retenue, l’association met en lien le jeune avec une personne âgée avec qui elle estime que la cohabitation sera une réussite.

« Je dis aux candidats que je reçois qu'il s’agit d’une aventure humaine plus qu’une cohabitation. Un partage de toit. Donc un partage de vie », met en avant Catherine Garnier. « Il faut vraiment être ouvert à l’autre pour que cela fonctionne. »
Une aventure humaine. C’est aussi la philosophie de l’association Lazare qui propose, depuis 2011, des logements partagés entre des personnes vivant à la rue et des jeunes actifs. Il s'agit de maisons composées de plusieurs colocations de 6 à 10 habitants. Jusqu'à 40 colocataires par maison. « Cela requiert une certaine maturité. Nous privilégions des jeunes débutant leur vie professionnelle », explique Aliénor de Sentenac, responsable communication. « Les personnes ayant vécu à la rue ont besoin de relations humaines, de retrouver un réseau social ».

Créer du lien social et lutter contre les discriminations, les Kolocations À Projets Solidaires (Kaps), installées dans les quartiers populaires de la politique de la ville, en font leur crédo. Initiées en 2010 par l’Association de la Fondation étudiante pour la ville (Afev), les Kaps représentent près de 250 colocations dans une trentaine de villes en France. Elles accueillent plus de 900 jeunes (kapseurs), en majorité des étudiants, pour un loyer moyen de 230 €. En contrepartie, ils mènent des actions de solidarité dans leur quartier. « Chaque kapseur y consacre 5 heures par semaine. Dont 2 heures de mentorat auprès d’un élève du quartier, à son domicile », détaille Jérôme Sturla, directeur développement urbain à l’Afev, qui précise que chaque offre de logement diffusée évoque cet aspect du dispositif.

Le logement solidaire est un engagement

L’engagement caractérise toutes ces solutions de logement solidaire. « Chez Lazare, on nous demande de nous engager au minimum un an. À la fin de cette année, on décide si l’on souhaite rester et combien de temps car c’est quand même un engagement assez prenant », confie Alix, 25 ans, professeure de mathématiques, et colocataire dans la maison Lazare de Nantes où elle paie un loyer de 300 € ainsi qu’une contribution de 70 € pour les courses.

Ensemble2générations exige un engagement minimum de 3 mois. « Le temps nécessaire pour que chacun vive une belle expérience et s’en souvienne. Et le minimum pour apprendre à se connaître et à vivre ensemble », fait valoir Catherine Garnier. Une fois le jeune mis en relation avec le senior et que la rencontre au domicile de ce dernier est concluante, un contrat ainsi qu’une charte de cohabitation intergénérationnelle sont signés. Le jeune s’acquitte alors d’une adhésion annuelle à l’association dont le montant peut aller jusqu’à 390 € selon les formules. « Ce cadre rassure les deux parties. De ces règles découle la routine de vie », estime Vincent, 29 ans, étudiant en psychologie et adhérant à Ensemble2générations. « Je trouve affreux qu’on laisse les personnes âgées isolées chez elles ou dans une maison de retraite. Mais ce type de cohabitation ne convient pas à tout le monde », admet Vincent.

« Le jeune peut aider la personne âgée à réchauffer le repas le soir, chercher le courrier, fermer les volets ou utiliser un ordinateur... Il ne remplace pas une aide à domicile », rappelle cependant Amélie Gentilini. Horaires de présence le soir, petits services, ces aspects sont réglés avec le senior avant la signature du document d’engagement. « Nous restons vigilants. Il peut y avoir une augmentation de la demande de la part de la personne âgée ou de ses enfants », précise-t-elle.

Inès, en cohabitation avec Le Pari solidaire, vit chez une personne avec des problèmes cognitifs. « La communication demeure compliquée car elle oublie certaines choses », raconte la jeune femme. « Mais j’apprends beaucoup de choses. Je rencontre son orthophoniste ou son art thérapeute qui m'indiquent comment adapter mon comportement face à une personne qui a un début d’Alzheimer. » L’étudiante, pourtant habituée des actions de solidarité, sollicite un changement de cohabitation. Elle dit se sentir un peu « surchargée » et gère difficilement cette situation alors qu’elle prépare sa soutenance de master.

D’après Vincent, son âge et son expérience d’intervenant auprès d’enfants autistes aident à poser certaines limites. « Je perçois un grand besoin d’attention de la part de la personne chez qui je vis. Il faut nourrir ce besoin avec de la bienveillance et de manière proportionnée », analyse-t-il. « Même si c’est prenant, il s'agit d'une belle expérience. Nécessaire pour la personne âgée qui a besoin de relations humaines et pour le jeune qui est confronté à la vieillesse », poursuit le jeune homme pour qui la cohabitation a été salutaire en temps de confinement. « J’étais content d’avoir quelqu’un à qui parler. »

Interdiction de recevoir des amis, respect de l’organisation de la colocation ou de la cohabitation. Dès qu’ils entrent dans l’un de ces dispositifs de logement solidaire, les jeunes acceptent aussi un règlement. Pour les étudiants n’ayant pas la disponibilité requise pour une formule nécessitant une présence ou une entraide, les associations de logement intergénérationnel proposent aussi des cohabitations qui demandent un peu moins d’engagement, pour une somme n’excédant pas 450 € à Paris (300 € en province) pour Ensemble2générations et 350 € pour Le Pari solidaire. Quelle que soit la formule, le logement intergénérationnel nécessite toujours de créer un lien de convivialité avec la personne âgée.

« J'ai eu quelques appréhensions sur le fait d’arriver dans une colocation avec 7 personnes que je ne connaissais pas, confie Alix. Je redoutais d’être tiraillée entre mes engagements et mes amitiés personnelles ». Les colocations d’une maison Lazare vivent au rythme des règles mises en place : interdiction de l’alcool, interdiction de recevoir des invités pour la nuit, un dîner obligatoire par semaine avec les colocataires, un roulement durant les week-end ou les congés, entretien de la coloc et des parties communes de la maison… Chacune est gérée par le couple de l’unique famille qui y vit. Les autres habitants des colocations de la maison sont célibataires. « Des professionnels habitant autour des maisons, comme des psychologues, apportent leurs compétences », précise Aliénor de Sentenac. « On essaie de vivre dans la bienveillance et cela se passe généralement bien. Toutes les deux semaines, le couple organise un conseil de maison pour aborder les difficultés », raconte Alix. « Cette colocation m’a permis d’avoir un autre regard sur les personnes qui vivent dans la rue et sur la précarité », livre la jeune professeure qui réalisait auparavant des maraudes dans les rues de Nantes.

Logement solidaire : quels freins au développement ?

En grande majorité plébiscitées par ceux qui les vivent, ces solutions de logement solidaire ne sont pas faites pour tous. La demande bien souvent supérieure à l’offre conduit ces dispositifs à se développer. Malgré certains freins. Financiers mais pas uniquement. « Nous voudrions nous développer dans d’autres départements de la région parisienne. Mais convaincre les personnes âgées reste difficile. Elles craignent d'accueillir une personne qu'elles ne connaissent pas ou de perdre leur indépendance », explique Amélie Gentilini. Le Pari solidaire propose d’autres types de logements solidaires, mais cette fois-ci indépendants, au sein de résidences autonomie pour personnes âgées ou au sein de résidences sociales.

Mathilde*, étudiante, bénéficie pour 400 € par mois d’un studio de 28 m² loué par l’association dans un immeuble géré par un bailleur social. « En échange, je dois créer du lien avec les personnes âgées de l’immeuble. J'apprécie le partage entre personnes âgées et étudiants en situation de précarité », déclare la jeune femme. Arrivée très récemment, tisser de vrais liens prend du temps. « Certaines personnes se contentent de me demander un service comme aller chercher des médicaments à la pharmacie, sans aller plus loin ». Dans les résidences autonomies, ce sont deux à trois jeunes qui sont logés, chacun ayant son propre studio pour une somme inférieure à 100 € par mois. « En contrepartie, ils s’engagent à tenir une permanence de 18 à 19h30 après le départ du personnel, ainsi que 3 heures par jour le week-end, à tour de rôle. Ils organisent des animations et des sorties », indique Karelle Le Gosles, qui a dirigé une résidence autonomie à Vitry-sur-Seine.

Ensemble2générations développe depuis peu également des studios en résidence autonomie pour personnes âgées ou en immeuble intergénérationnel.

« Souvent, on installe nos maisons dans des quartiers cossus pour leur donner un nouveau souffle de vie. Parfois, des habitants déposent un recours contre un projet de maison Lazare dans leur quartier », déplore Aliénor de Sentenac. Certaines réticences faiblissent au cours du temps, se réjouit-elle.

Du côté des Kaps, on souhaite doubler le nombre de kapseurs dans les 3 années à venir. « La difficulté n’est pas de trouver des jeunes mais des appartements disponibles. Nous devons convaincre des bailleurs là où parfois les logements manquent pour des familles éligibles », explique Jérôme Sturla. En parallèle, l’association développe des projets d’immeubles entièrement composés de colocations Kaps avec toujours l’ambition de créer du lien social dans le quartier.

*Le prénom a été modifié

 

Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 29-07-2022 / créé le 04-05-2021