Geoffrey : à 21 ans, on n'a pas envie d'avoir peur

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Originaire de Clermont-Ferrand, Geoffrey a terminé ses études de journalisme en novembre 2015. Il travaille actuellement pour une chaîne spécialisée dans le sport. Il habite dans le 11e arrondissement de Paris, là où se sont déroulés les attentats de janvier et de novembre.

J’habite à deux rues du Bataclan et des locaux de Charlie Hebdo. J’ai vécu les attentats en direct et ça a été un moment très dur. Le soir du 13 novembre, je devais sortir et passer devant le Bataclan, mais j’étais fatigué. Alors, j’ai décidé de rester chez moi. 

Quelques heures plus tard, j’ai commencé à entendre les sirènes. Toute la nuit, j’ai vu défiler les camions de pompiers. La caserne est à 15 mètres de chez moi. J’entendais les hélicoptères tourner au-dessus du quartier. Mon téléphone sonnait sans cesse : mes proches voulaient savoir si j’étais en sécurité.

C’était extrêmement émouvant

Le lendemain, je suis allé devant le Bataclan pour me recueillir. Un homme d’un certain âge s’est agenouillé devant moi, en pleurs. Il a pris ma main et m’a dit que sa petite-fille faisait partie des victimes. J’ai pleuré avec lui. C’est l'une des images qui m’a le plus marqué.

Le samedi soir, beaucoup de monde se recueillait devant les lieux du drame. Il y avait des bougies aux fenêtres. C’était extrêmement émouvant.

Je n’ai pas pu dormir pendant 3 jours

Le lundi suivant, je suis allé au bureau. Mais il m’était impossible de travailler. Mes collègues m’ont annoncé qu’un chef opérateur qui travaillait avec nous était décédé. L’atmosphère était lourde. Nous étions tous très tristes.

Je n’ai pas pu dormir pendant 3 jours. Lorsque je fermais les yeux, j’entendais des sirènes, je voyais des terroristes, des kalachnikovs. 

On n’imaginait pas qu'en 2015, des attentats auraient lieu en France

On cherche à comprendre, mais on n’y arrive pas. On savait qu’on était face à un risque élevé mais on ne s’imaginait pas que ça arriverait aussi vite. On a étudié la guerre pendant de nombreuses années à l’école, mais on n’imaginait pas qu’en 2015, des attentats auraient lieu en France et figureraient dans les manuels d’histoire.

Les attentats de Bruxelles ont fait ressurgir les mauvais souvenirs

Les attentats de Bruxelles ont fait ressurgir les mauvais souvenirs. On se remémore ce qui s’est passé en janvier et en novembre. On se dit que les Belges vont vivre dans l’angoisse et dans la paranoïa toute leur vie. On le sait parce qu’on est passé par là 4 mois avant. On a envie de partir, mais on ne peut pas. Trois attentats qui se passent à 500 mètres de chez soi et à une heure de train en 1 an et demi, ça commence à faire beaucoup. On a l’impression d’être en sécurité nulle part. À 21 ans, on n’a pas envie d’avoir peur.

Je me suis demandé si je devais quitter le quartier

Avec ces attentats, on se pose beaucoup de questions. 

Étant journaliste, je me suis demandé après les événements de janvier, s’il était raisonnable de poursuivre dans cette voie. Est-ce que ça vaut le coup d’exercer ce métier si ça doit être au péril de sa vie ? 

Je me suis aussi demandé si je devais quitter le quartier. J’habite dans le 11e arrondissement de Paris depuis 4 ans. Après les attentats de Charlie Hebdo, je me demandais si je devais partir. Après les événements du 13 novembre, mes parents voulaient que je quitte le quartier. Mais les semaines ont suivi et je n’ai pas eu le courage de chercher.

Partir, ce serait donner raison aux terroristes

Finalement, j’ai décidé de ne pas partir. J’apprécie ce quartier, j’y ai des amis. Un jour sur deux, je passe devant le Bataclan. Je me suis habitué aux roses et aux bougies. C’est triste à dire, mais on s’est habitué à vivre dans la peur.

Partir, ce serait donner raison aux terroristes. Il faut continuer à vivre, sortir, voir ses amis, voir des concerts, même si c’est difficile. Car si on s’arrête de vivre, ils auront gagné. Je resterai à Paris et j’exercerai mon métier de journaliste.

Les jeunes ont un rôle à jouer pour lutter contre les amalgames

Je pense que dans des moments pareils, il est important de s’entraider les uns les autres, ne pas hésiter à faire un geste envers les personnes tristes ou affectées par tout ce qui se passe.

Juste après le 13 novembre, j’ai lu des trucs horribles sur les réseaux sociaux sur les Arabes ou les musulmans. On a juste envie de dire "fermez-la !". Dans un pays où la devise est "Liberté, Égalité, Fraternité", je trouve ça vraiment limite. 

Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui ça va mieux. Je ne vois plus ce type de propos sur les réseaux sociaux et je pense, au contraire, qu’il y a plus de solidarité entre les gens. Les jeunes ont un rôle à jouer pour lutter contre les amalgames et la propagande. 

C’est bien de voir des jeunes organiser des manifestations contre les attentats ou contre des projets qui ne leur conviennent pas.

La jeunesse, c’est l’avenir. Nous devons construire un monde où tout le monde se respecte, quelles que soient les origines et les religions et où nous pouvons sortir faire la fête librement.

Isabelle Fagotat © CIDJ
Article mis à jour le 03/07/2018 / créé le 08-04-2016